Pour établir “la conversation”…
Conversation [Larousse] : Échange de propos, sur un ton généralement familier
“Touitter” en français est un luxe que peu de gens peuvent se permettre en milieu minoritaire. La pratique est pourtant courante parmi les majorités linguistiques. Citoyens, journalistes, politiciens, médias et autres organismes se rencontrent au quotidien sur Twitter depuis déjà plusieurs années dans une multitude de langues. Les mécanismes de mot-clique, de liste et de diffusion aident à mieux engager les communications dans un monde de surabondance de contenus. La concision est de mise, les usagers ont le contrôle de ce qui leur est pertinent et ne sont pas sollicités pour révéler des données personnelles tel que sur Facebook. Twitter est devenu un incontournable pour participer à la “conversation” autour de sujets d’intérêt public. Les mouvements sociaux s’en sont appuyés ces dernières années, dont #IdleNoMore.
A en juger par le nombre infime de gazouilleurs citoyens, que ce soit en Colombie-Britannique, à travers l’Ouest canadien ou encore dans tout le milieu minoritaire du pays, participer à la “conversation” ne semble pas répondre à un besoin. Au point de se demander s’il y a “conversation” en français et s’il y a des sujets d’intérêt public parmi une francophonie plutôt bigarrée, certains diront en éclatement. Ou encore que la “conversation” doit se pratiquer en anglais, cela seulement sur des sujets d’intérêt pour la majorité ambiante. Autrement mieux vaut s’abstenir au coût de dommages collatéraux bien connus.,,
Certes, le nombre de locuteurs francophones en milieu minoritaire est petit et il ne faut pas nécessairement extrapoler les comportements du milieu majoritaire. Parce que ces locuteurs n’écrivent plus nécessairement en français s’étant réinvestis en anglais, par exemple. Ou encore le “non-dit” est une réalité incontournable du milieu minoritaire.
Les nouveaux arrivants, qu’ils soient en provenance du Québec, de la France ou d’ailleurs dans la grande francophonie choisissent très souvent “l’immersion” totale à l’anglais pour se parfaire le plus rapidement possible et s’intégrer au milieu ambiant. La recherche de logement, travail, compagnon(gne) et réseau personnel d’appui sont les priorités du nouvel arrivant. Le français se retrouve ainsi généralement mis de côté durant cette période d’intégration.
Pour certains francophones qui font l’effort de maintenir leur affinité linguistique et souvent l’utilisent dans leur recherche initiale de travail, s’exprimer publiquement dans le nouvel environnement linguistique de souche n’est pas une priorité. Les codes de communication du milieu minoritaire doivent d’abord être appris et il faut comprendre ce nouvel environnement avant de pouvoir y gazouiller. Les réseaux privés personnels suffiront en matière de maintien du français. Certains nouveaux arrivants réussissent parfois à se motiver un cran de plus dans l’espace public en menant la promotion et l’agrégation de contenus en français. Les appuis sont toutefois limités. Grand merci à celles-là, elles se reconnaitront…
Passé le stade de “nouveau arrivant”, il est difficile de se réinvestir au français par soi-même. Envoyer ses enfants à l’école en français (immersion ou CSF) est cependant facile, sans avoir nécessairement à fournir le meilleur exemple. Le cercle des amis façonnera de toutes façons le jeune, une fois rendu ado. Avec le résultat que la prochaine génération née en Colombie-Britannique ne touitte pas en français. Pas plus sur Facebook ou ailleurs sur le Net. La première langue devient ainsi l’anglais, situation similaire à la plupart des francophones “de souche” nés en milieu minoritaire. À l’image des parents venus d’ailleurs?
Il est vrai que peu de gens disposent de suffisamment de temps, d’énergie ou d’aptitude à l’écrit pour gazouiller en français. Ce qui résulte en une twittosphère provinciale à peu près exclusivement occupée à ce jour par nos médias, organismes et leurs professionnels menant chacun indépendamment la promotion de leurs contenus, activités, services et produits. Il s’agit donc d’une francophonie de consommation dans laquelle chacun essaie de vendre son savon, en compétition avec l’offre implacable du marché ambiant. Des meneurs/meneuses à claquettes s’épuisent régulièrement dans cet environnement peu propice pour engager la conversation et véritablement “rejoindre”, le besoin à la base.
Oui il y a eu *certains* progrès récents à Radio-Canada Montréal, dans l’Ouest et en C-B (ainsi que dans le reste de la francophonie institutionnelle) en matière d’utilisation de Twitter et Facebook pour le milieu minoritaire. Mais à quoi bon touitter, utiliser des mots-cliques et des listes ou encore disposer d’une “stratégie du numérique” s’il n’y a pas “conversation”? “Mettre la charrue avant les bœufs” est un problème qui ne ne date pas d’hier.
Établir cette conversation va prendre beaucoup plus que simplement du temps et des vœux pieux style “Build it and they will come”. Parce que les mêmes actions produisent les mêmes résultats, web, pas web ou médias dits sociaux. Paraitre comme si on avançait est suffisant seulement pour les agents du statuquo et autres résignés. Une “stratégie du numérique” concertée à travers nos médias, organismes et la sphère citoyenne pourrait devenir vitale à la reprise de la francophonie en milieu minoritaire. Mais il faudra d’abord reconnaitre qu’il n’y a aucune “conversation” ayant cours. Et que les dommages collatéraux ne sont plus soutenables.