« Too little too late? »
Imaginez la visite d’un village fantôme de l’Ouest. Imaginez ses bâtiments abandonnés, ses lieux publics vides et ses dernières publications volant au vent. Imaginez un endroit qui s’était développé jusqu’à ce que ses habitants réalisent que le minerai, les boisées, les cultures et les marchés promis n’existaient pas ou ont disparu. L’Internet, eldorado des pionniers de l’espace électronique, est rempli de telles scènes de désolation. L’Ouest virtuel franco n’échappe pas à ce paysage de nouvelles frontières. Et les nouveaux arrivants continuent à rêver à de meilleurs jours…
Mais voilà qu’un autre site web rempli de promesses se retrouve abandonné parmi tant l’ayant précédé. Importe-t-il vraiment de savoir quel est-il, ou si c’était parce que les “besoins” étaient mal compris, la réalisation manquée, la promotion bâclée, les appuis insuffisants et que de meilleures alternatives existaient … dans cette autre langue? S’agissait-il d’un manque d’intérêt à se rencontrer dans la langue officielle ultra minoritaire, virtuellement et physiquement? Et les nouveaux arrivants continuent à se demander ce qui est arrivé à ceux qui les ont précédé…
Le web demeure une jungle : la compétition et l’anonymat y sont prédominants, les intérêts communs, quasi impossibles à cerner. L’environnement hostile est d’autant plus impitoyable pour les petits groupes incapables d’opérer au rythme de l’Internet. La situation de tour de Babel n’aidant pas, le plus fort l’emporte aisément, certes pas le plus vite. Et les nouveaux arrivants se questionnent où doivent-ils s’investir? Ditto pour la prochaine génération.
Se retrouver sur de tels sites web rappelle ainsi la difficulté de vivre dans notre langue loin des grands centres de français. Les questionnements dans l’espace virtuel restent les mêmes que dans l’espace réel : « sommes-nous seuls ? », « les derniers venus s’en sont-ils déjà retournés, métissés ou décimés entre eux? », « se sont-ils retranchés derrière un dernier fort ?» N’y a-t-il pas, pourtant, près de 30 000 francophones autour de Vancouver et 60 000 en province appuyés par des centaines de milliers d’amis francophiles? À l’image de la découverte de l’Ouest, on s’imagine que des signes de vie apparaîtront au prochain virage. Cependant, seule persiste la majesté du paysage, sans point de repère, sans annonce de village. Et toujours personne à l’horizon.
Manquons-nous vraiment de colons prêts à peupler ces vastes domaines selon les bonnes intentions du roi, de son gouverneur et de ses intendants – plutôt que d’une pitance que les colons pourront en obtenir sans dépendre des provisions du dernier fort de retranchement. Il n’y a pas de réponse facile pour expliquer le manque de réussite de nos espaces publics virtuels ou physiques. À des problèmes complexes, on ne pourra trouver que des restants de pistes qui s’entrecroisent.
L’épopée Internet se poursuivra vraisemblablement. De nouveaux aventuriers de la Toile reprendront le travail de ceux qui les ont précédé et essayeront de prospérer sur de nouveaux lopins de terre virtuels. Mais à quoi bon lorsque les règles d’engagement des individus, des communautés (ou de ce qui en reste) et de nos institutions sont incapables de s’adapter au nouveau territoire: « too little too late » qu’on dit dans cette autre langue!