Ses Defis Majeurs Et Des Voies De Solutions
Par I
Depuis presque deux décennies, le Canada accueille chaque année plus de 200 000 immigrants(1), alors qu’au même moment la province francophone du Québec en accueille plus de 30 000(2). Pour la seule année 2010, le Canada a accueilli au total 280 700 immigrants(1) ayant le statut de résidents permanents. Il est vrai que cette immigration massive vise naturellement à faire face aux phénomènes de vieillissement de la population active et de pénurie de main-d’œuvre. Pour cela, le gouvernement fédéral du Canada – tout comme la province du Québec – a adopté une politique d’immigration choisie, où la plupart des personnes sélectionnées partagent le même profil. En effet, ils sont relativement jeunes, ont un niveau d’instruction relativement élevé et parlent le français ou l’anglais comme langue seconde.
Rappelons que cette politique canadienne d’immigration tend volontairement à privilégier une immigration économique au détriment de l’accueil de réfugiés et du regroupement familial(1). Mais, au cours de ces quinze dernières années, on observe un problème crucial auquel la plupart des nouveaux arrivants – plus particulièrement ceux originaires d’Afrique – sont quotidiennement confrontés. Il s’agit, en effet, du problème de l’intégration socioprofessionnelle qui se pose avec acuité et au fil des années(3).
A cet égard, il nous paraît important de nous poser deux questions essentielles ci-après afin d’enrichir le débat sur ce « problème de société » : quels seraient les principaux défis pouvant expliquer cette situation préoccupante ? Face à ce problème qui touche principalement la catégorie d’immigrés africains, quelles voies de solutions pourrait-on privilégier pour que ces derniers puissent jouir de l’intégration harmonieuse dans leur société d’accueil, le Canada ? Dans le présent article, nous tenterons de répondre à ces deux questions fondamentales après avoir présenté, brièvement, les caractéristiques spécifiques des immigrés africains au Canada depuis une quinzaine d’années.
1. Les caractéristiques des immigrés africains au Canada
D’entrée de jeu, il importe de souligner que les immigrés d’origine africaine constituent un des plus grands groupes ethniques non européens et non asiatiques au Canada. En effet, en 2011, plus de 700 000 personnes(1) d’origine africaine habitaient au Canada, ce qui représentait environ 2 % du total de la population canadienne.
Soulignons, par ailleurs, que le nombre de personnes d’origine africaine augmente de façon beaucoup plus rapide que l’ensemble de la population. Par exemple, entre 2006 et 2011, 12,5% des nouveaux arrivants étaient originaires du continent Africain, soit environ 145 700 personnes(1). Ce qui correspond à une augmentation de 10,3% par rapport aux cinq années précédant la période à laquelle a été faite cette étude.
De plus, les immigrés africains résidant au Canada se caractérisent par leur diversité culturelle et ethnique, leur répartition inégale sur le territoire canadien, leur jeunesse relative par rapport à d’autres groupes ethniques résidant au Canada et leur niveau de scolarité relativement élevé. C’est ce que nous allons voir en détail dans les lignes qui suivent.
1.1. La diversité culturelle et ethnique
Les Canadiens d’origine africaine reconnaissent avoir diverses origines culturelles et ethniques. D’après le Recensement effectué au Canada en 2011, 63 % des personnes interrogées (soit la majorité) ont déclaré n’avoir qu’une seule origine ethnique, tandis que 37 % d’entre elles ont affirmé qu’elles avaient également d’autres origines ethniques. De plus, 51 % d’entre elles – soit un peu plus de la moitié des recensés – ont déclaré qu’elles avaient simplement la culture africaine, alors que 11 % disaient être des Somaliens, 6 % des Sud-africains, 6 % des Ghanéens et 5 % des Éthiopiens.
Précisons, en outre, que la majorité de la population africaine au Canada est née à l’extérieur du Canada. En 2011, 53 % des Canadiens d’origine africaine étaient nés à l’extérieur du Canada, comparativement à 18 % de l’ensemble de la population canadienne. En plus, la majorité des immigrés africains sont arrivés au Canada dans les années 1990. En effet, selon les statistiques de 2011, environ 58 % des immigrés d’origine africaine sont arrivés au pays durant la décennie 1990-2000, tandis que 31 % y sont arrivés entre 1981 et 1990. En revanche, seulement environs 6 % d’entre eux étaient arrivés durant les années 1960, et moins de 1 % avant 1961.
1.2. La répartition inégale sur le territoire canadien
Il importe de souligner que la population africaine au Canada est rassemblée principalement dans ces quatre provinces : en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique et en Alberta. En fait, un peu plus de 90 % de tous ceux identifiés comme ayant des origines ethniques africaines vivaient dans les provinces précitées en 2011. Cette année-là, 60 % de tous les Canadiens d’origine africaine habitaient en Ontario et 17 % au Québec. La Colombie-Britannique était le lieu de résidence de 8 % d’entre eux, alors qu’un autre 8 % habitaient en Alberta.
Dans l’ensemble, un peu plus de 175 000 Canadiens d’origine africaine vivaient en Ontario en 2011, à peu près 50 000 au Québec, 25 000 en Colombie-Britannique et 23 000 vivaient en Alberta. Compte tenu de ces statistiques, il ressort que les Canadiens d’origine africaine résidant dans la province de l’Ontario constituent un plus grand pourcentage par rapport à toutes les autres provinces canadiennes prises séparément. En 2011, les Canadiens d’origine africaine représentaient presque 2 % de la population de l’Ontario, et plus de 1 % de la population du Québec, de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Nouvelle-Écosse, et du Manitoba.
De plus, la grande majorité des Canadiens d’origine africaine vivent dans l’une des grandes villes du Canada. En fait, plus de 41 % d’entre eux habitaient à Toronto en 2011. Durant la même période, ceux qui ont indiqué avoir des origines africaines représentaient 3 % des résidents de Toronto et d’Halifax, 2 % des résidents de Montréal et 1 % de la population de Vancouver, de Calgary, d’Edmonton et d’Ottawa.
1.3. La population relativement jeune
La population africaine du Canada est relativement jeune. En 2011, les enfants de moins de 15 ans représentaient 30 % des personnes d’origine africaine, comparativement à 17 % pour l’ensemble de la population. D’une façon similaire, 18 % étaient âgés de 15 à 24 ans, contre 13 % pour la population totale. Aussi, les Africains sont plus susceptibles que l’ensemble de la population d’être dans la force de l’âge, de 25 à 44 ans. En 2011, 35 % d’entre eux faisaient partie de cette catégorie, contre 31 % de l’ensemble de la population.
En outre, les personnes d’origine africaine sont beaucoup moins susceptibles que l’ensemble de la population d’être aînées ou proches de l’âge de retraite. Les aînés âgés de 65 ans et plus représentaient environ 8 % des personnes d’origine africaine en 2011, comparativement à 12 % pour l’ensemble des Canadiens. De même, environ 16 % des personnes d’origine africaine étaient âgées de 45 à 64 ans, contre 24 % pour l’ensemble de la population.
Contrairement à l’ensemble de la population canadienne, les hommes d’origine africaine vivant au Canada sont légèrement plus nombreux que les femmes du même groupe. En 2011, 50,1 % des personnes d’origine africaine étaient des hommes, comparativement à 48,9 % de tous les Canadiens. Toutefois, les femmes d’origine africaine constituent la majorité des personnes âgées de 60 ans ou plus. En 2011, 54 % des personnes âgées de 60 ans et plus d’origine africaine étaient des femmes. Dans l’ensemble de la population, les femmes représentaient 56 % des aînés cette année-là.
1.4. Le niveau de scolarité relativement élevé
Les adultes canadiens d’origine africaine sont plus susceptibles de posséder un diplôme d’études universitaires que le reste de la population(1). En 2011, 20 % des Canadiens d’origine africaine âgés de 15 ans et plus avaient obtenu un baccalauréat ou un diplôme d’études supérieures, comparativement à 15 % de l’ensemble de la population adulte canadienne.
Par ailleurs, les Canadiens d’origine africaine sont beaucoup plus susceptibles d’obtenir un diplôme d’études supérieures. En 2011, 8,3 % de personnes de 15 ans et plus ayant affirmé avoir des origines africaines avaient un diplôme d’études universitaires (soit un Baccalauréat, une Maîtrise ou un Doctorat), comparativement à 4,8 % de tous les adultes canadiens.
Comme dans l’ensemble de la population canadienne, les hommes d’origine africaine sont un peu plus instruits que les femmes d’origine africaine. Par exemple, 24 % des hommes d’origine africaine de 15 ans et plus possédaient un diplôme universitaire en 2011, comparativement à 15 % de leurs homologues féminins. En fait, les hommes d’origine africaine étaient beaucoup plus susceptibles de posséder un diplôme universitaire que leurs homologues dans l’ensemble de la population. Cependant, les femmes d’origine africaine sont quelque peu plus susceptibles de posséder un diplôme universitaire que les autres femmes dans l’ensemble de la population.
Les jeunes personnes d’origine africaine sont beaucoup plus susceptibles de fréquenter des établissements d’enseignement que les autres jeunes canadiens. En 2011, 73 % de la population d’origine africaine âgée de 15 à 24 ans était inscrite dans un programme de formation à temps plein, comparativement à 57 % des autres Canadiens appartenant à ce groupe d’âge. Parmi les personnes d’origine africaine ayant entre 15 et 24 ans, les femmes sont un peu plus susceptibles que les hommes de fréquenter des établissements d’enseignement. En 2011, 74 % des jeunes femmes d’origine africaine âgées de 15 à 24 ans étaient inscrites dans un programme de formation à temps plein, comparativement à 70 % de leurs homologues masculins. Ces résultats sont semblables dans l’ensemble de la population, où les jeunes femmes étaient plus susceptibles de fréquenter un établissement d’enseignement que les jeunes hommes.
2. Les défis majeurs de l’intégration socioéconomique
Plusieurs études et rapports gouvernementaux ont abordé, à maintes reprises, la question de l’intégration socioprofessionnelle des immigrés africains et non africains afin d’y apporter des solutions appropriées. A ce propos, ils ont relevé plusieurs défis auxquels les intéressés sont confrontés jour après jour sur le marché de l’emploi.
S’agissant particulièrement des immigrés africains, nous avons retenu six défis, qui nous paraissent les plus importants, à savoir : les barrières linguistiques, la non-reconnaissance des acquis et des compétences, les pratiques discriminatoires à l’embauche, les préjugés social et ethnique, le manque de réseaux sociaux et l’absence d’expérience canadienne. C’est ce que nous nous proposons de développer dans les lignes suivantes.
2.1. Les barrières linguistiques
D’emblée, il convient de rappeler que le français et l’anglais sont les deux langues officielles reconnues au Canada. Pour travailler à la Fonction Publique ou dans le secteur privé, il est obligatoire de maîtrise l’une des deux langues officielles. En d’autres termes, les employeurs ont le droit de faire subir aux candidats un test linguistique pour s’assurer que ces derniers maîtrisent le français ou l’anglais tant à l’oral et à l’écrit.
Il a été constaté que presque tous les Canadiens d’origine africaine peuvent parler l’une des deux langues officielles(1). En 2011, 99 % d’entre eux pouvaient soutenir une conversation dans au moins l’une des langues officielles, tandis que seulement 1,5 % ne parlaient ni l’anglais ni le français.
Bien que la plupart des Africains résidant au Canada puissent parler au moins une langue officielle, une grande majorité a une ou deux langues autres que l’anglais ou le français ayant les statuts de langues maternelles et/ou vernaculaires(1). En 2011, 34 % des Canadiens d’ascendance africaine avaient une langue maternelle autre que les deux langues officielles du Canada.
Il convient de préciser, toutefois, que la maîtrise du français ou de l’anglais par les immigrés africains n’est pas une garantie d’intégration socioprofessionnelle. En effet, après avoir réussi au test linguistique, ces derniers n’obtiennent pas automatiquement le poste pour lequel ils ont postulé alors qu’ils font preuve des compétences exigées au préalable. Dans ce cas précis, les employeurs canadiens ont l’habitude de trouver d’autres critères purement subjectifs pour éliminer « les candidats indésirables ».
Certes, malgré cette situation déplorable, la maîtrise du français ou de l’anglais par les immigrés africains est tout de même indispensable à plusieurs égards. En effet, elle sert entre autres à communiquer oralement et par écrit soit au niveau de l’administration ou de la communication quotidienne avec des personnes francophones ou anglophones. Si, par contre, un immigré africain n’est pas en mesure de communiquer aisément dans l’une des deux langues officielles, il est clair qu’il ne trouvera aucun travail sur tout le territoire canadien.
2.2. La non-reconnaissance des acquis et des compétences
Un constat général est que les immigrés africains (mais également ceux d’Asie et d’Amérique latine) sont confrontés à ce défi majeur : la non-reconnaissance des acquis et des compétences, peu importe le niveau de scolarité effectué à l’étranger(4).
En d’autres termes, les employeurs canadiens exigent le plus souvent le diplôme canadien même si les candidats d’origine étrangère présentent les équivalences en bonne et due forme de leurs diplômes obtenus à l’étranger. A ce sujet, les médecins, les avocats et les ingénieurs originaires surtout d’Afrique (et ceux originaires d’ailleurs mais dans une moindre mesure) sont les plus touchés par l’exigence du diplôme canadien. On les oblige, sans ambages, à reprendre toutes leurs études universitaires alors qu’ils ont acquis beaucoup d’expériences professionnelles dans leurs domaines respectifs. Par conséquent, ils sont obligés d’abandonner leur profession initiale au profit d’un travail subalterne ou peu valorisant pourvu qu’ils puissent nouer les deux bouts du mois.
2.3. Les pratiques discriminatoires à l’embauche
Vu que le recrutement se fait selon le choix de l’employeur, celui-ci écarte forcément certaines candidatures pour n’en retenir qu’une seule. Celle-ci se verra finalement proposer embauche et signature d’un contrat de travail. Jusque-là, tout va très bien.
Toutefois, il convient de rappeler que le Code du Travail en vigueur au Canada soumet ce choix à des exigences particulières visant à interdire la discrimination à l’embauche sous peine d’être sanctionné. D’après le même Code, l’employeur qui ne respecte pas cet interdit peut être poursuivi civilement et/ou pénalement.
Dans la pratique, – et c’est très regrettable ! – les immigrés africains victimes de la discrimination à l’embauche ne sont pas toujours en mesure de prouver la culpabilité de l’employeur. A cet égard, la discrimination peut prendre deux formes et chaque fois l’employeur trouvera des arguments (fondés ou pas) pour justifier sa décision. D’une part, il ne retient pas la candidature d’un immigré lors du processus de recrutement sous prétexte qu’elle ne satisfait pas à tous les critères exigés. D’autre part, il lui offre une formule d’un contrat de travail moins avantageuse, notamment un contrat à temps partiel ou très peu rémunéré.
Vu le caractère complexe qui caractérise le processus d’embauche, il est donc très difficile de combattre efficacement la discrimination à l’embauche que subissent quotidiennement les immigrés africains au Canada malgré l’existence du Code du Travail. Par conséquent, d’après certaines études, les écarts entre le taux de chômage chez les natifs et chez les immigrés, en général, sont en grande partie attribuables à des comportements discriminatoires ne permettant pas à beaucoup d’immigrés de mettre en valeur leur candidature en entrevue.
Afin de lutter contre le chômage chronique dû à la discrimination à l’embauche, les intéressés optent de plus en plus pour le travail autonome et le font dans une plus grande proportion que les natifs. Pour cela, l’encouragement à l’initiative privée pourrait constituer un élément important des programmes d’aide à l’intégration dans le marché du travail.
2.4. Les préjugés social et ethnique
En tant que minorités visibles, les immigrés africains sont également confrontés à des préjugés social et ethnique lors de l’embauche. A titre d’exemple, l’employeur canadien a souvent tendance à embaucher spontanément un Canadien de souche au détriment d’un immigré africain alors que les deux demandeurs d’emploi ont le même diplôme et le même nombre d’années d’expérience professionnelle.
A cet égard, nous pensons que cette attitude négative qu’on affiche à l’égard des immigrés africains est intimement liée à l’histoire dramatique que les Africains ont subie durant plusieurs siècles. Précisons que celle-ci concerne naturellement la traite négrière transatlantique et la colonisation européenne. En effet, ces dernières ont contribué à la « chosification » des millions d’Africains en les rendant esclaves et colonisés pendant plus de quatre siècles (5).
Cependant, nous pouvons affirmer, aujourd’hui, que l’esclavage des Noirs et la colonisation de l’Afrique par les Européens ont pris fin depuis belle lurette. Mais ils ont, hélas, laissé des traces indélébiles dont souffrent encore les Africains à l’aube du XXIème siècle. C’est ainsi que les immigrés africains – qu’ils soient éduqués ou pas – résidant dans les pays occidentaux (dont le Canada) sont souvent perçus par les Occidentaux comme étant des gens ignorants, non-civilisés, paresseux, immatures, incompétents, etc.
2.5. Le manque de réseaux sociaux
Pour obtenir un emploi au Canada, il est indispensable d’être soutenu par des réseaux sociaux, qui mettent en relief les qualités professionnelles et humaines du demandeur d’emploi(6). Or, les immigrés africains au Canada ont du mal à trouver un réseau social au sein de leur communauté ou la communauté d’accueil. Vu que celle-ci ne les connaît pas ou les connaît superficiellement, elle ne sera pas disposée à servir de référence aux arrivants.
S’agissant des références pour l’acquisition d’un emploi au Canada, les immigrés africains sont obligés de choisir prioritairement des personnes faisant partie de la communauté canadienne de souche. En effet, celles-ci sont plus crédibles que les nouveaux-arrivants, car ces derniers font l’objet des préjugés de toutes sortes.
2.6. L’absence d’expérience canadienne
Il est vrai que l’expérience canadienne figure parmi les critères importants d’embauche au Canada, Or, il est inconcevable et injuste d’imposer ce critère à un nouvel immigré africain. Malheureusement, les employeurs canadiens ne font pas de distinction entre deux catégories de demandeurs d’emploi : les Canadiens de souche et les immigrés africains.
En d’autres termes, il est connu de tous que l’absence d’expérience canadienne sert souvent de prétexte à plusieurs employeurs canadiens pour discriminer les immigrés africains. En effet, l’expérience acquise à l’étranger par ces derniers n’a aucune valeur pour eux, tout comme les diplômes obtenus sur le continent africain.
A suivre ….. Part II