Pour mieux “se voir”? La pilule bleue et la pilule rouge…
Deux groupes voulant desservir la francophonie canadienne ont récemment proposé l’ajout d’une chaîne à l’offre de base des cablo-distributeurs « a mari usque ad mare ». Une multitude d’entreprises média se sont en effet engagées à générer de nouveaux contenus devant l’organisme de réglementation du CRTC et ainsi accéder à la manne des “redevances cablo” si leur proposition est acceptée.
Les deux groupes aspirant à la francophonie canadienne invoquent l’argument que les francophones hors-Québec désirent “se voir” davantage. Plus encore, que les francophones du Québec et d’ailleurs au Canada veulent se voir entre eux. Enfin que les “réalités” soient mieux reflétées!
L’analyse suivante “pilule bleue, pilule rouge” s’inspire du film “The Matrix” et essaie d’y voir clair pour … mieux se voir. Rappelons que la pilule bleue évoque la possibilité de choisir une réalité préfabriquée quasi-désirable alors que l’infâme pilule rouge révèle l’état actuel des lieux, aussi indésirable soit-il.
Pilule Bleue
Les lobbys habituels francos ont tous applaudi ces propositions de nouvelles chaînes. L’unanimité est telle que personne n’a cru bon commenter dans nos tribunes publiques. La presse écrite a vite entériné. La nouvelle compétition et la coopération possible ne pourront qu’être salutaires au diffuseur public! Le dossier est somme toutes déjà “classé”. Le CRTC est tellement pertinent pour réglementer qu’il est impossible qu’on ne reconnaisse pas le bien-fondé de ces ajouts.
Les réalités seront enfin adéquatement reflétées. On pourra finalement montrer des francos vivants en milieu minoritaire 7x24x365 jours par année en français. La base présentement plutôt sceptique ne pourra que se convertir devant l’exemple. Finie l’assimilation. Les jeunes, nouveaux arrivants, entrepreneurs et autres créateurs s’inspireront d’une francophonie aussi vibrante. Producteurs, réalisateurs, monteurs, artistes, acteurs, relationnistes, agents de projet et autres travailleurs des médias y trouveront finalement plein emploi. Enfin un plan d’action, le plan de développement global, la bonification ultime, le financement pluriannuel et la fin des coupures. Pourquoi donc ne pas y avoir pensé plus tôt?
Pilule Rouge
La facture serait toutefois refilée au consommateur par ces cablos déjà assaillis par l’offre télévisuelle implacable de l’Internet: TV sur demande à la Netflix, web TV et TV via la ligne de téléphone Internet (avec ou sans fil), parmi autres. Ce consommateur coincé financièrement doit faire des choix difficiles lorsqu’ils payent pour les contenus qui l’intéressent. Il peut aussi choisir le médium, l’horaire et les filtres (e.g. médias sociaux) par lequel il accédera à ces contenus. Oui son temps est précieux et son champ d’attention est réduit, constamment assailli par une abondance de contenus, qu’il soit en milieu majoritaire … ou minoritaire. Personne n’échappe au milieu ambiant, qu’on veule “se voir” ou non sur sa TiVi, sinon simplement s’en évader!
Pour des gens qui apparemment désirent se voir sur leur TiVi, les francophones hors-Québec s’expriment très peu publiquement. Il s’agit d’un milieu de “non-dit” conditionné depuis toujours par le pouvoir. Les porte-paroles d’organisme suffisent donc, souvent les seuls que les journalistes réussissent à interviewer, lorsqu’un sujet d’affaires publiques franco réussit à retenir leur intérêt. Des nouveaux arrivants issus de milieux majoritaires francophones se retrouvent le plus souvent sur nos médias pour nous informer ou nous divertir. Les francophones hors-Québec se retrouvent ainsi désengagés de leurs médias, donc quasiment impossible à rejoindre et à engager. L’idée de voir sur sa TiVi la “réalité” de francos vivants en milieu minoritaire 7x24x365 jours par année en français n’aiderait vraisemblablement pas à ce moment-ci…
D’autre part, les Québécois ont déjà amplement de problèmes linguistiquement chez eux et ne sont pas nécessairement prêts à voir ceux des autres. Moins encore à payer pour. Cela, autant que les francophones hors-Québec. En outre, tous sont suffisamment critiques pour reconnaître la propagande, et changer de canal.
En ce qui a trait à la nouvelle compétition, le diffuseur public n’est aucunement dans un état capable de porter des coupures de 150 millions sur un budget d’un milliard prévues durant les prochaines années. Le diffuseur public est suffisamment décimé à l’interne présentement pour se faire maintenant décimer à l’externe sous le prétexte des bienfaits de la compétition, le marché n’existant tout simplement pas. Les conséquences nocives de la centralisation, de la pollution et de la prédation de contenus auprès de l’auditoire du milieu minoritaire sont déjà bien connues, peu importe ces promesses de meilleures “consultations” lors des prochains renouvellements de licence. N’oublions pas que beaucoup d’éléments dans le gouvernement conservateur désirent se débarrasser de CBC/Radio-Canada. Infâme, cette pilule dite rouge!
Épilogue
Avant d’aspirer à vouloir mieux “se voir”, il faudrait d’abord mieux communiquer entre francophones hors-Québec. Les propositions d’ajout de chaînes de francophonie pour ces audiences de “consultation” du CRTC semblent avoir évacué l’urgent besoin de tenir une réflexion collective sur l’état lamentable de notre environnement médiatique, particulièrement le peu d’intérêt qu’il suscite compte-tenu de tous les défis à relever. L’organisme de réglementation doit reconnaître sa part de responsabilité dans l’état des lieux avant de prétendre pouvoir y remédier. Prendre des décisions sur ces propositions d’ajouts pour les cablos semble mal venu. A chacun sa pilule entre temps!