Par Réjean Beaulieu The Afro News Vancouver
Merlin n’était pas un faucon typique ou “moyen”. Bien sûr, il adorait planer en volant, chanter sa bonne humeur tôt le matin, ou encore grignoter sur des souris de champ observés à refiler des messages le temps d’une fringale, pour son maître dans cette terre lointaine perdue dans le temps. Merlin faisait en effet parti de cette dernière génération d’oiseaux messagers tirant une maigre pitance pour services rendus. En fait la dernière génération à porter l’étendard devant les nouvelles technologies qui allaient voir l’espèce entière disparaître. Sic. Merlin n’était certes pas non plus un simple “pigeon-voyageur” et pouvait chasser en vol pour son maître. “Partisan de solutions de force dans les conflits” : néanmoins un Faucon, quoi!
Merlin voyait également grand dans son travail. Il aspirait à regrouper ses camarades en vue de revendiquer auprès des propriétaires le port de messages plus légers à véhiculer au-dessus de régions plus hospitalières. Il avait remarqué par exemple que certains messages étaient particulièrement pénibles à porter au point de souvent se faire tirer dessus dans certains territoires par de méchants chasseurs.
Un jour, il fut appelé à prononcer l’oraison funèbre de Fabien, un de ses meilleurs amis, tombé lors d’une mission périlleuse. Fabien avait eu à porter un message réclamant auprès de sa gouvernance la taxation de cultivateurs de citrouilles au-dessus d’un territoire d’un tel orangé. Fabien avait pourtant été méticuleusement choisi par son propriétaire prêt au sacrifice d’un de ses meilleurs messagers. Hélas, à peine passé le premier champ de citrouilles, une des multiples salves l’avait atteint fatalement en plein cœur.
L’oraison prononcée par Merlin fut courte mais mémorable : le sacrifice de Fabien n’allait pas être en vain et que Dieu bénisse son âme. Déjà durant la soirée de veille, les premiers grenouillages de regroupement se faisaient entendre, le corps du pauvre Fabien à peine froid. Les messages seraient dorénavant seulement portés au-dessus de territoires hospitaliers, préférablement garnis de souris bien dodus et ne faisant plus entrave à de bonnes fringales. La convention annuelle des faucons serait le moment opportun pour lancer la campagne.
Merlin se présenta donc à la présidence de l’association et fut élu par acclamation. Les membres plutôt en déprime devant l’état de la profession lui donnèrent leur appui pour revendiquer de meilleures conditions auprès des propriétaires. Merlin fut par la suite capable de convaincre les propriétaires de la justesse de leur cause. D’autant plus que les propriétaires étaient de moins en motivés à appuyer la gouvernance de l’état et à refiler les messages d’intérêt public. Les rentes ne rentraient désormais plus comme dans le bon vieux temps et les accommodements nécessaires furent vite identifiés.
Les nouvelles conditions de travail furent bien appréciées au début, malgré que les souris de champs n’étaient plus aussi dodues et savoureuses que jadis, pour des raisons apparemment “environnementales”. L’atmosphère de déprime ne s’améliora guère peu et des problèmes d`embonpoint apparurent graduellement. Les messages à passer étaient de moins en moins intéressants et de plus en plus régurgités, i.e. peu de nouveau malgré d’importants changements ayant cours dans cette terre lointaine, technologie, économie, culture, identité, gouvernance, etc.
Toujours à l’affût ce de ce qui se passait, Merlin se questionna à nouveau et commença à ne plus suivre les règles de l’organisation qu’il avait pourtant mises de l’avant suite au décès de Fabien. Il réalisa que c’était dans la nature des faucons que d’acheminer des messages périlleux, éviter les salves, voler durant la nuit ou durant le brouillard, et chasser en vol au besoin. Et s’il leur fallait utiliser de nouvelles technologies pour ce faire, il était maintenant suffisamment prêt après avoir tant cheminé. Merlin sut passer ce nouvel enthousiasme pour la profession qui se porte dorénavant beaucoup mieux. Les faucons ont réappris à planer en volant et à chanter leur bonne humeur tôt le matin. Quant à cette fringale de souris, la diète semble avoir changée et les faucons messagers seraient devenus des végétariens se nourrissant strictement bio. Certains excelleront sans nul doute, tel de véritables olympiens!