«where no man has gone before»
Par Rejean Beaulieu :Le Canada respecte-t-il la diversité des langues et des cultures à l’ère de la mondialisation sauvage, particulièrement chez soi? Nous disposions l’an dernier d’une occasion unique pour le démontrer alors qu’une centaine de millions de téléspectateurs regardaient les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques. Outre un usage quasi-exclusivement protocolaire du français, l’anglais s’est avéré omniprésent, appuyé d’un volet culturel “grand marché”, i.e. en anglais. De rares interludes en français semblent avoir suffi devant une “lingua franca” dite mieux comprise. Le spectacle à grands éclats fut toutefois techniquement bien réussi.
A l’ère aussi du vite consommé et vite oublié, qu’avons-nous véritablement appris de cette expérience? Le commissaire dit “aux langues officielles” découvrait lui, qu’après quarante ans de régime, le Canada dit “anglais” n’était toujours pas prêt à partager avec le reste du monde son expérience de bilinguisme au-delà de l’aspect “langue officielle” des Jeux, cela en dépit de budgets absolument colossaux alloués à ces cérémonies. Son rapport final de décembre dernier concluait que “Malgré tout, le COVAN a accordé une place nettement insuffisante [au français] dans le volet culturel de la cérémonie.” John Furlong du COVAN s’est empressé de répudier en invoquant les milliers de lettres de félicitations -vs- les trente-huit plaintes déposées par … de mauvaises langues. Les figurants francophones pouvaient simplement s’exprimer sans égard à la langue pour un événement d’une telle envergure à travers la danse, la musique, l’imagerie et le mime, sans faire entrave à la beauté du spectacle. Rien ne s’en est vraiment suivi…
En guise de post-mortem, prétendons-nous Spock, apôtre de logique implacable. Le Capitaine Kirk a après tout offert sa prestation allant jusqu’à invoquer les “nouvelles frontières” de l’aventure Star Trek. Le célèbre vulcain risque de d’abord se questionner sur l’origine du candidat choisi pour concevoir ces cérémonies en provenance de l’autre hémisphère : les terriens ont-ils évolué à ce point? L’impassible héro ne s’étonnera probablement pas que l’australien ait été incapable de comprendre les réticences d’un géant tel que Vigneault à voir son œuvre “Mon Pays” utilisé hors contexte sans aucun droit de regard. Ou que la grande Céline ait préféré s’affairer à ses fonctions de nouvelle mère.
Fidèle à sa capacité de sonder le mystère, Spock recherchera bien sûr quels sont les précédents dans la fédération où la majorité anglophone “Klengon” et la minorité francophone “Klainguone” ont pu collaborer ensemble un volet culturel cohérent. Il verra alors que le travail relève bel et bien de nouvelles frontières. Cela malgré les assurances du commissaire d’ententes antérieures, d’accords de contributions financières et de comités de surveillance pour veiller à ce que “tous les Canadiens soient capable de se reconnaître dans ce visage qu’on présente au monde”.
La curiosité de Spock demeurant insatiable, il étudiera sans doute les cas de métissages Klengon-Klainguone pour découvrir que l’espèce instable produite disparaît immédiatement. Une inspection des archives numériques de Radio-Canada, de CBC et de l’ONF/NFB lui apprendra par exemple que le premier artiste canadien à vendre plus d’un million d’albums résultant d’un tel métissage culturel demeure complètement introuvable dans ces archives! La chanson bilingue était intitulée “The french song”, autrement connue par “Quand le soleil dit bonjour aux montagnes”, un texte rempli de métaphores de communications. L’artiste a même grandi à Maillardville dans le grand Vancouver et offrait une prestation de gala l’année précédente lors du centième anniversaire de Maillardville. Doit-on vraiment s’étonner que l’australien n’ait pu justement apprécier l’occasion unique qui se présentait, i.e. Lucille « Starr » Savoie, un nom prédestiné? De quoi presque faire verser une larme à l’inébranlable Spock. N’en croyant pas ses yeux, Spock se rappellera que les terriens n’ont pas évolué à ce point si sa recherche tombe sur le cas du métissage culturel d’un géant franco-terreneuvien sur l’autre océan. Émile Benoit avait observé parmi la bureaucratie un cafouillage sans fin dans la promotion de la culture lorsqu’un artiste traversait les barrières culturelles et linguistiques. Chaque côté du réseau s’attendait à ce que l’autre côté s’occupe du pauvre artiste, «where no man has gone before»? Émile Benoit demeure introuvable à ce jour sur les archives numériques du diffuseur public en anglais et en français!
La grande pointure de métissage culturel d’Antonine Maillet aurait certes su comment la Sagouine expliquerait au reste du monde les rapports de nouvelles frontières entre l’anglais et le français sous le décor complètement dépouillé de sa chaise berçante malgré les grands éclats. La langue fictive universelle du Cirque du Soleil aurait pu être reprise pour diminuer l’emphase de la langue dominante. L’illustre montréalais Leonard Cohen aurait pu entonner l’universel «If it be your will» pour illustrer l’immense défi de communiquer lorsqu’une des parties a abandonné. Les premières nations ont été disneyifiées et la chasse-galerie est passée complètement inaperçue. La contribution vitale des communautés asiatiques (chinoises, japonaises et indiennes) à la Côte-Ouest a été complètement laissée pour compte. Nous nous sommes retrouvés à la place avec des castors géants gonflables…
En bout de ligne, ne devons-nous pas nous questionner davantage sur l’occasion qui a été manquée, le manque de véritable suivi et l’assurance que l’espace culturel “bilingue” canadien deviendra plus viable???