Opinion : Été 2020 – Été 2021. Nous voici un an après l’un des étés les plus troubles de ces dernières décennies. Nous sommes bien d’accord que juin 2020 n’est pas juin 1940, mais personne ne peut nier que l’été dernier a pris une envergure historique. Au fur et à mesure que les manifestations se déroulaient, des analyses diverses et variées se sont succédées. Il m’a fallu un an pour effectuer une analyse sur ce que les Américains appellent aujourd’hui “the summer of racial reckoning” ; nous traduirons cette expression par “l’été des règlements de compte raciaux”. Le philosophe français Michel Onfray dit notamment ceci : “Le travail du philosophe ne consiste pas à hurler avec les loups de la moraline, mais à fouiller le sol en profondeur comme un sanglier afin de trouver les racines de la fleur – fut-elle du mal.” Pour mon plus grand bien je ne suis pas philosophe mais cette phrase me sert souvent de boussole.
Juin 2020
Beaucoup d’entre nous ont été attristés par le meurtre de Georges Floyd. Il s’agissait bel et bien d’une exécution commise par un policier sans nul doute raciste et qui, par conséquent, n’a pas perçu l’être humain en la personne de George Floyd. Cependant, certains diront que les événements qui ont suivi au cours du mois de juin étaient encore plus importants que le meurtre. Ces événements témoignant, au sein des pays occidentaux, d’un vrai phénomène de société. Faisons une courte mention d’une certaine jeunesse qui s’est soudainement éprise de justice sociale et qui a découvert l’existence du racisme. On ne peut s’empêcher de se demander si ces manifestations auraient eu lieu si les bars et les restaurants étaient ouverts. Mais passons.
En revanche, beaucoup de gens de descendance africaine ont été scandalisés et sidérés par la propagande victimaire qui a suivi.
Le mot d’ordre était simple, il fallait absolument faire des gens de descendance africaine un peuple de victimes et de persécutés absolus. Les réalités sociales et raciales américaines furent plaquées et exportées dans une multitude de pays occidentaux. Du Canada à la France, en passant par l’Angleterre ou l’Australie, le message fut le même. Celui de montrer que le quotidien des populations “noires” dans les sociétés occidentales est caractérisé par deux phénomènes : le racisme et l’oppression. Cette propagande victimaire fut sous-tendue par une machine médiatique bien huilée et d’une efficacité redoutable. Entre la presse écrite, les médias télévisuels et les réseaux sociaux, le message devait être asséné avec une force inouïe, ne laissant de place ni à la contradiction, ni à la contextualisation, ni à la nuance. Ainsi, le magazine Travel Weekly titrait le 10 Juin 2020 “Traveling while black comes with a new set of rules” de son côté, le Harvard Business Review publiait le 17 Juin 2020 “Working from Home while black” et le 19 juin 2020, le New York Times titrait “Banking While Black: How Cashing a Check Can Be a Minefield”. Une multitude d’articles similaires fut publiée au cours de l’été 2020. Ces articles avaient pour but de démontrer que toutes les dimensions de la vie d’un noir étaient marquées par la question raciale. L’aboutissement logique et inévitable fut la médiatisation du terme “racisme systémique”, soit le fait que les Etats sont structurellement racistes et que la police est le bras armé de ce racisme.
Les fondements de l’antiracisme victimaire
Essayons maintenant d’analyser quelle est la base idéologique de l’antiracisme victimaire. On nous explique que voilà : “il y a eu une traite négrière, un impérialisme et une colonisation Européenne”. Ces pratiques de domination font que le “Blanc”, quoiqu’il fasse, a toujours tort et que le “Noir”, quoiqu’il fasse, a toujours raison. Cette affirmation s’explique par une analyse freudienne : les inconscients communiqueraient et se transmettraient de manière phylogénétique. En d’autres termes, si votre famille a subi un traumatisme dans un temps passé, par exemple de plusieurs siècles, ce traumatisme demeure dans votre propre inconscient. En conséquence, si au 17ème siècle vos ancêtres étaient des esclaves maltraités et brutalisés par leurs propriétaires, et que vous êtes un individu de peau noire en 2021, sachez que vous portez en vous ce traumatisme. Certains ne s’arrêtent pas là et nous expliquent que ce traumatisme n’est pas que psychologique ou psychique mais qu’il est aussi physiologique et anatomique. Donc, en additionnant tous ces éléments, les personnes de descendance africaine sont aujourd’hui et seront dans 100 ans et dans 1000 ans toujours des victimes et les Blancs d’aujourd’hui, dans 100 ans et dans 1000 ans seront toujours des bourreaux.
En suivant cette logique je suggère donc que les descendants de l’empire du Ghana demandent des réparations aux descendants de l’empire Sosso et que ces derniers demandent aux descendants de l’empire du Mali de s’excuser pour les traumatismes causés par la domination Malienne et les massacres de la bataille de Kirina. Ne nous arrêtons pas là, que les berbères demandent que les arabes s’excusent et que les égyptiens demandent des comptes aux turques.
Je suppose que bon nombre de lecteurs me diront que ces situations n’ont rien à voir avec notre actualité et que l’esclavage en Amérique a toujours des conséquences réelles sur la vie des noirs Américains. C’est bien possible ! Toutefois, je m’avance à dire que la grande majorité des problématiques actuelles des populations noires est liée à des problèmes sociaux et de structure familiale.
Ainsi nous observons que, depuis le début des années 90, cette idéologie s’est diffusée dans toutes les strates de sociétés occidentales.
Techniques de propagande des groupes minoritaires
Les minorités font l’histoire. En 1917, une poignée d’hommes derrière Lénine, Trotsky, Kamenev et Zinoniev prirent le Palais d’Hiver tandis que la majorité du peuple Russe vaquait à ses occupations. Et en 1789 c’était entre 40,000 et 80,000 personnes qui prirent la Bastille.
Dans cette suite historique, cet antiracisme victimaire est minoritaire. Leurs activités et revendications ne tombent pas du ciel mais s’appuient sur des corpus idéologiques et intellectuels créés dans les campus américains au milieu des années 70 par des universitaires comme Derrick Bell, Patricia J. Williams ou encore Kimberlé Crenshaw. Nos fameux activistes de juin 2020 ont comme relai des politiques, des médias, des artistes, des écrivains, des sportifs et sont financés par des dons provenant des plus grandes multinationales.
De surcroît, les mouvements antiracistes sont des mouvements gauchistes. Sur les trois fondatrices du mouvement Black Lives Matter, deux, Patrisse Cullors et Alicia Garza se déclarent marxistes. En 2020, Patrisse Cullors a déclaré a Real News Network : “Alicia et moi-même sommes des organisatrices formées. Nous avons une formation marxistes. Nous avons beaucoup de connaissances sur une multitude de théories idéologiques.” Dans sa page YouTube, elle déclara aussi : “Je crois au marxisme. C’est une philosophie que j’ai apprise très tôt dans ma carrière d’organisateur. On nous a appris à connaître les systèmes qui critiquent le capitalisme.” Comme dirait l’autre, c’est toujours bien d’apprendre. Il est évident que la connaissance des systèmes qui critiquent le capitalisme est importante. Les thèses de Karl Marx sur les marchandises et la monnaie, le salaire ou l’accumulation du capital sont intéressantes, mais discutables. Cependant, le marxisme ne s’arrête pas à une philosophie. Sa dimension politique est le marxisme-léninisme. Et le génie du marxisme-léninisme c’est la propagande. Vladimir Lénine disait: “Nous pouvons et devons écrire dans une langue qui sème parmi les masses la haine, le dégoût et le mépris envers ceux qui ne sont pas d’accord avec nous.”
Dans la grande tradition du gauchisme du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, les mouvements antiracistes de juin 2020 ont su capter le moment en se plaquant sur un événement, en l’occurrence le meurtre de George Floyd, pour faire avancer une idéologie et pour mener un combat politique.
Le fait de pousser cette idéologie est absolument catastrophique. Elle n’est pas catastrophique pour les gens à descendance européenne, mais pour les gens à descendance africaine. Elle percute et détruit notre fierté et notre estime de soi.
Les motivations des uns et des autres
Se posent donc les questions suivantes: 1) Qui a intérêt à promouvoir l’idéologie de l’antiracisme victimaire? 2) Pourquoi perpétrer des actions sociales et politiques basées sur cette idéologie? 3) Quelle est la motivation à maintenir des gens dans un état mental de persécutés ad vitam æternam?
A ces trois questions, je réponds respectivement: 1) Une bourgeoisie composée d’activistes, de dirigeants de droit civique, d’universitaire et de personnalité médiatique 2) Ces actions sont lucratives et créent une notoriété publique 3) Avoir un sentiment de pouvoir et une emprise psychologique et politique sur toute une population. Quoi de plus facile que de manipuler des gens en fonction de quelque chose qu’ils ne peuvent pas changer – leur couleur de peau.
L’auteur Américain Adam B. Coleman, dans son ouvrage: Black Victim To Black Victor: Identifying the ideologies, behavioral patterns and cultural norms that encourage a victimhood complex (ce livre n’est pas traduit en français), nous explique remarquablement comment s’est formée une élite qui a su insidieusement exploiter les questions raciales. Certains membres de cette élite touchent beaucoup d’argent soit par un financement publique, à travers des dons, ou carrément en fournissant des services, en l’occurrence les consultants en diversité et inclusions. D’autres membres de cette élite ne sont pas riches mais en répandant l’évangile de la victimisation noire jouissent d’une grande aura médiatique.
Des indignations à géométrie variable
Là où cette idéologie est encore plus perverse, c’est que les soi-disant traumatismes utilisés pour victimiser les noirs sont à géométrie variable. La colonisation et l’esclavage occidentale sont répétés matin, midi et soir pour se victimiser et pour maintenir les Blancs dans une posture d’éternel bourreau. Cependant si la traite transatlantique a concerné environ de 9.6 à 11 millions d’individus et qu’elle a durée 4 siècles celle pratiquée par les arabo-musulmans a concerné 17 millions de noirs africains, du 7ème au 20ème. Je vous réfère aux travaux de l’historien et anthropologue Sénégalais et musulman Tidiane Ndiaye. Son livre Génocide Voilée: Enquête Historique publié en 2008 aux éditions Gallimard, nous révèle les dessous de la traite arabo-musulmane. Celle-ci, comme par hasard, est totalement mise de côté et absente des débats publics. Comme par hasard celle-ci n’a causé aucun traumatisme. D’ailleurs, les élites dans le monde arabo-musulman refusent farouchement d’entamer ce genre de discussions. Et la condition des descendants d’esclaves dans ces pays ne suscite pas l’attention de nos antiracistes.
Sur ce dernier point, je réfute toute accusation de “Whataboutisme”. Il s’agit d’une contextualisation globale, approfondie et pointue. Il n’y a pas de degré dans l’horreur et une infamie n’excuse pas l’autre. Cependant il y a quelque chose de foncièrement malhonnête à mettre en avant certains faits historiques et à en cacher d’autres pour avancer ses idées politiques. L’histoire est complexe et ses conséquences sont contradictoires. Elles doivent être nuancées. Quand les événements se déroulent, elles créent leur propre logique.
Conclusion
Nous sommes très nombreux à penser que cette idéologie victimaire est absolument monstrueuse et pernicieuse pour les gens de descendance africaine. Il n’y pas d’aristocratie du malheur. Considérer que l’expérience actuelle des noirs est que souffrance et racisme est absurde. Considérer que l’histoire de tout une communauté commence sur un traumatisme ou une domination est non seulement une faute morale mais un mépris absolu pour nos ancêtres qui ont construit des empires et des royaumes et qui ont conquis des territoires avec férocité. Qu’entre le 16eme et le 19eme siècles quelques millions de Noirs ont été persécutés et qu’à la fin du 19 jusqu’au 20ème siècle qu’ils soient méprisés ne doit pas effacer nos 4500 d’histoire qui sont passés par Koush à Aksoum à Pount. Nous sommes beaucoup à être absolument choqués de voir l’histoire de nos ancêtres réduite à un état de servitude.
Que certains vivent ce que leurs ancêtres ont vécu comme une douleur, on peut l’entendre. Seulement il n’y a pas d’éternelle douleur. Les douleurs historiques ne sont pas l’alpha et l’oméga de tous. Elles nous enferment dans une vindicte. Au contraire, il faut mettre un voile pudique sur cette douleur et surtout sanctifier nos victoires et nos conquêtes.
Aida Kane est une journaliste indépendante basée à Vancouver. Elle est spécialiste dans les questions sociopolitiques et les enjeux géopolitiques.