Ne me dites pas!
Un grand sociologue québécois visitait récemment une métropole canadienne pour prononcer une conférence portant sur les mythes. Brillante prestation fut-elle outre l’omission du conférencier à expliquer comment cela pouvait possiblement s’appliquer au groupe rencontré, i.e. des francos en milieu minoritaire. Mi-réalité, mi fiction, le mythe était présenté comme LE mécanisme de cohésion par lequel un groupe résout ses conflits après une crise initiale, en prévient les séquelles et s’adapte au changement. Mais cette omission ne constituait-t-elle pas la plus brillante démonstration possible du mythe du “Non-Dit” tel qu’il s’applique au milieu minoritaire?
Après plus de 30 ans de vécu dans ce milieu, je commence à peine à comprendre. Et plus d’un mois après cette conférence, le mythe m’apparait fondamental. Tous ceux qui aspireraient à comprendre plus rapidement pourraient y trouver intérêt. Veuillez toutefois attacher votre ceinture, garder en main votre sac du mal de l’air et entrer dans une zone de grande turbulence.
D’abord historiquement, reconnaissons que les premiers nouveaux arrivants avaient tout intérêt à se taire, question de ne pas déranger les premiers habitants. Quand cela n’était plus possible, mieux valait entonner de jolies chansons de souche et survivre à cette crise du déracinement initial. Surtout ne rien dire sur ce qui viendrait après. Écrire n’était ni dans les mœurs ni dans la description de la tâche. Les dés étaient jetés dès le début pour l’establishment “white anglo-saxon protestant” (WASP), les patrons suivants pas loin derrière. Les prochains laquais de service au pouvoir suivraient ainsi que le clergé venu sauver les âmes allants être définitivement mises en détresse. Mieux valait continuer à se taire devant plusieurs langues fourchues.
Le Mythe du “Non-Dit” laissera donc une Histoire sans héro ou vilain, sans événement marquant et sans lieu de mémoire. Les sites sont laissés à l’oubli, les archives inexistantes (ou impossibles à accéder) et les sociétés historiques forcées à l’abandon, historiens et archivistes pas même capables de participer. L’enseignement de cette Histoire ne se retrouve pas au curriculum, i.e. pas de manuel, de professeur ou d’étudiant. De toutes façons, le nouvel arrivant ou le jeune ayant bien d’autres priorités ne sera pas intéressé à savoir ce qui est arrivé à ceux qui l’ont précédé. Comme si cela ne s’appliquerait pas à lui. Hélas non.
Au temps présent, le Mythe du “Non-Dit” explique comment on se retrouve avec des journaux et autres médias abandonnés, sans éditorial, courrier de lecteur, tribune, revue de presse, diffusion/présence sur les médias sociaux, participant et annonceur. Mais étrangement jusqu’à ce jour amplement de bailleurs de fonds, de gestionnaires, de relationnistes, de porte-paroles, de réalisateurs, de chercheurs-académistes, de consultants et autres agents de projet. Les journalistes, chefs de pupitre et animateurs auront toutefois de grands défis dans un tel milieu s’ils désirent interviewer un franco lorsque les bailleurs de fonds &Co. ne sont franchement pas intéressés sans un script d’entretien prémâché. Les sujets du pouvoir, de l’argent et de l’ethnicité seront donc gardés tabous lorsqu’il est tellement plus facile pour le dernier nouvel arrivant contractuel de traiter de ce qui est déjà couvert ailleurs. Le code d’éthique journalistique sera bien suivi et l’Ombudsman ravi. Personne ne pourra se plaindre. Les relations publiques s’occuperont du reste. Pas facile non plus pour le lectorat ou l’auditoire que de regarder (ou d’écouter) la peinture sécher juste au cas où quelqu’un dirait finalement de quoi sur ce qui se passe ici. C’est d’ailleurs ici normalement que les artistes d’ici sont supposés avoir de quoi à dire. Mais encore une fois, les défis sont immenses dans le monde du Non-Dit.
De retour à la définition du terme, le mythe est supposé aider le groupe à prévenir les séquelles d’une crise initiale et s’adapter au changement pour que le groupe reste cohérent. On penserait pourtant que la crise initiale du déracinement et les séquelles sont bien loin derrière ceux qui ont rompu le cordon ombilical de souche. Mais comment peuvent-ils s’adapter au changement et s’investir dans l’avenir du milieu minoritaire lorsque ceux qui n’ont pas rompu ce cordon continuent à accaparer le peu qui en reste?