Dans le monde entier, les travailleurs migrants envoient de l’argent à leurs familles restées au pays. Ces sommes permettent de payer les factures d’hôpital et les frais de scolarité, d’acheter des terres, de construire des maisons et de mettre sur pied de petites entreprises. Les flux d’envoi de fonds vont des États-Unis vers le Mexique, des pays du Golfe vers l’Inde, du Royaume-Uni vers la Somalie et de l’Afrique du Sud vers le Malawi, le Zimbabwe et le reste de l’Afrique australe.
Ce que ces travailleurs ne réalisent pas toutefois – parce qu’ils envoient généralement leur argent dans un seul pays –, c’est que le coût des transferts de fonds varie considérablement d’un endroit à l’autre. Selon une étude sur le coût des envois de fonds menée par l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI), basée à Londres, avec le soutien de Comic Relief, une organisation caritative de collecte de fonds, le coût des transferts vers les pays africains est une fois et demi plus élevé que la moyenne mondiale et deux fois plus élevé que celui des transferts vers l’Amérique latine.
L’ODI estime que l’argent économisé en ramenant les frais d’envoi de fonds au niveau de la moyenne mondiale pourrait permettre de financer la scolarisation primaire de 14 millions d’enfants supplémentaires en Afrique subsaharienne, soit presque la moitié des enfants non scolarisés actuellement dans cette région.
Le gros de cet argent passe par les sociétés de transfert d’argent plutôt que par les banques. Cela s’explique notamment par le fait que les bénéficiaires disposent rarement d’un compte de banque et que les entreprises d’envoi de fonds sont rapides, efficaces et disposent d’un vaste réseau d’agents locaux. Deux acteurs internationaux importants – Moneygram et Western Union – dominent cependant le marché en Afrique, et les participants à une réunion organisée pour le lancement du rapport de l’ODI ont vivement critiqué la façon dont ils semblaient abuser de leur quasi-monopole.
Williams Nkurunziza, haut-commissaire rwandais à Londres, a dit qu’il avait été choqué en lisant les conclusions du rapport. « Entre 30 et 40 pour cent des envois de fonds vers l’Afrique sont destinés aux zones rurales », a-t-il dit. « Cet argent va aux plus démunis, et on permet à une multinationale d’enlever le pain de la bouche d’enfants affamés. Ce n’est pas ce que j’appelle un capitalisme responsable ! »
Glenys Kinnock, la porte-parole de l’opposition en matière de développement international à la chambre haute du parlement britannique, qui présidait la réunion, a appelé l’autorité de réglementation financière du pays à intervenir sur la question des frais excessifs. « Ce n’est pas une question technocratique, même si c’est l’impression que l’on peut avoir de l’extérieur », a-t-elle dit. « Cela concerne aussi la vie des gens et l’avenir de leurs enfants… Cela doit changer. Nous ne pouvons pas continuer de rendre la vie si difficile, voire impossible à des gens qui ont de tels besoins. »
À la fin de l’année dernière, lorsque l’ODI a mené son étude, le coût des transferts de fonds vers la plupart des pays africains s’élevait à environ 12 pour cent de la somme envoyée – un peu moins pour la Tanzanie et la Zambie, un peu plus pour la Gambie, le Malawi et l’Ouganda –, contre une moyenne mondiale légèrement supérieure à 8 pour cent, ce qui représente déjà beaucoup d’argent. Les gouvernements des pays du G8 et du G20 ont d’ailleurs promis de faire des efforts pour réduire ce taux à 5 pour cent.
L’ODI a par ailleurs découvert que les deux chefs de file du secteur contrôlaient plus de 50 pour cent du marché dans plus de 30 pays et plus de 90 pour cent dans 10 pays. Moneygram ou Western Union exerce, dans certains cas, un monopole de fait, mais l’absence des deux entreprises ne signifie pas pour autant que les clients ont plus de choix ; il arrive qu’une entreprise exerce un monopole sur les points de versement dans une région en particulier et il est fréquent que les sociétés de transfert de fonds demandent à leurs agents payeurs de signer un contrat dans lequel ils s’engagent à ne pas travailler pour leurs concurrents.
La Somalie : un cas à part
Il est intéressant de noter que les frais d’envoi de fonds sont beaucoup moins élevés en Somalie, le seul pays où les deux grands acteurs sont absents ; les transferts sont réalisés par un certain nombre d’entreprises concurrentes, plus petites.
La concurrence a été limitée par les répercussions de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis. Les banques qui pratiquent les transferts internationaux se disent en effet réticentes à offrir leurs services à de plus petites entreprises en raison des règlements existants en matière de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Dahabshiil, la principale entreprise somalienne, dispose toujours d’un compte dans une banque britannique importante (Barclays), mais elle a dû se battre en justice pour le conserver et l’injonction obtenue est seulement valide en attendant que d’autres arrangements puissent être mis en place.
Les transferts entre pays africains sont les plus coûteux
Il est coûteux d’envoyer de l’argent en Afrique depuis un autre pays du monde, mais les frais associés aux transferts entre les pays du continent sont parfois scandaleusement élevés.
Dilip Ratha, un économiste qui travaille sur ces questions à la Banque mondiale, a dit que les mécanismes de contrôle des changes permettaient d’expliquer les frais élevés ; il est en effet illégal de faire sortir de l’argent de certains pays. « Disons que vous souhaitez envoyer de l’argent du Bénin au Ghana, par exemple. Vous avez le droit (ce n’est pas le cas dans tous les pays), mais les francs CFA doivent être convertis en euros, en livres sterling ou en dollars, puis reconvertis en cédis ghanéens, et vous payez une commission dans les deux cas. Il faut absolument créer une sorte de marché régional de devises. »
Le rapport a découvert 10 circuits de transferts de fonds pour lesquels les frais dépassaient les 20 pour cent. Ils sont de 22 pour cent pour les envois de fonds du Nigeria au Ghana. Ils sont particulièrement élevés entre la Tanzanie et les autres pays d’Afrique de l’Est et entre l’Afrique du Sud et ses plus proches voisins ; les frais atteignent en effet 25 pour cent pour les transferts bancaires entre Sud-Africains et Malawites. Certaines sociétés de transfert de fonds imposent des frais encore plus élevés : si vous envoyez de l’argent du Ghana vers le Nigeria par exemple, il se peut qu’il vous en coûte jusqu’à 39 pour cent de la somme transférée.
Les systèmes de paiement par téléphone portable comme M-Pesa ont rendu moins coûteux et plus faciles les transferts de fonds à l’intérieur des frontières de certains pays, mais ils ne se sont pas encore imposés à l’international. Cela s’explique notamment par le fait que les systèmes réglementaires conservateurs et inflexibles exigent que l’ensemble des transferts internationaux passe par les banques conventionnelles. Les banques africaines ont en outre tendance à pratiquer des tarifs très élevés parce qu’elles se voient souvent contraintes de financer des projets gouvernementaux ou de consentir des prêts non commerciaux.
Disons que vous souhaitez envoyer de l’argent du Bénin au Ghana, par exemple. Vous avez le droit (ce n’est pas le cas dans tous les pays), mais les francs CFA doivent être convertis en euros, en livres sterling ou en dollars, puis reconvertis en cédis ghanéens, et vous payez une commission dans les deux cas. Il faut absolument créer une sorte de marché régional de devises.
Chukwuemeka Chikezie, du cabinet-conseil Up Africa, a dit à IRIN que les gouvernements africains avaient une grande part de responsabilité. « Si M-Pesa fonctionne aussi bien au Kenya, c’est notamment parce que les autorités ont encouragé et soutenu l’innovation. Dans d’autres pays, les autorités de régulation ont tendance à freiner l’innovation. Elles sont très frileuses et ne permettent même pas la conduite d’expériences limitées destinées à prouver que les marchés peuvent absorber les innovations techniques. »
Les réglementations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent imposent en outre des contraintes importantes aux systèmes conçus pour venir en aide aux pauvres, exigeant, par exemple, des procédures pour « mieux connaître le client », comme de faire des copies des documents d’identité des destinataires de transferts de fonds. Selma Ribica, de M-Pesa, a fait remarquer que cela était tout simplement impossible pour les agents qui travaillent dans des zones rurales où il n’y a pas d’électricité. Elle a dit à IRIN qu’elle aimerait qu’une approche plus réaliste, à plusieurs niveaux, soit adoptée et qu’elle prévoie une réglementation beaucoup moins sévère pour les petits transferts internationaux (200 à 300 dollars, par exemple). Il est en effet peu probable que ces faibles sommes soient destinées au blanchiment d’argent.
Les nouveaux acteurs du secteur : Facebook, Walmart
M-Pesa permet de transférer de l’argent d’un compte de téléphonie mobile à un autre. On commence maintenant à songer à la possibilité de mettre en place d’autres types de « porte-monnaie » électroniques qui pourraient être reliés de la même façon.
Facebook vient tout juste de proposer à ses clients qui disposent déjà d’un compte – généralement utilisé pour les paiements des jeux en ligne – un service de transfert d’argent. Pour le moment, cette option est seulement disponible pour les paiements entre les pays de l’Union européenne, mais Facebook a des utilisateurs partout dans le monde et dit vouloir étendre sa portée en Afrique.
Les profits importants empochés par les opérateurs de sociétés de transfert d’argent incitent par ailleurs d’autres acteurs à tenter leur chance dans le secteur. Walmart, la chaîne de supermarchés américaine, est le dernier en date à avoir annoncé son intention d’offrir des services d’envoi de fonds. Les destinataires pourront récupérer leur argent dans n’importe quel établissement de la chaîne. Au départ, il sera seulement possible de transférer de l’argent entre les magasins situés sur le territoire américain et vers Porto Rico, mais la présence de Walmart en Afrique du Sud – ou le groupe possède près de 350 établissements – ainsi qu’au Botswana, au Lesotho, au Malawi, au Mozambique et au Swaziland ouvre des perspectives intéressantes en permettant aux travailleurs d’envoyer de l’argent à leurs proches à moindre coût.
Ces nouvelles méthodes d’envoi de fonds ont pour but de couper l’herbe sous le pied de Moneygram et de Western Union en proposant de meilleures offres. Western Union a réagi en offrant des transferts dits « sans frais » vers l’Afrique pour les sommes prélevées dans un compte bancaire (et non sur une carte de crédit ou en espèces). Cela permettrait à une personne souhaitant envoyer 100 dollars du Royaume-Uni au Liberia d’économiser un peu moins de 5 livres sterling (8,40 dollars). La société continuerait d’empocher un profit (près de 4 dollars) en utilisant un taux de change favorable, mais le coût serait abaissé juste en dessous de l’objectif que se sont fixé les pays du G8/G20.
L’espoir est finalement permis pour les migrants africains qui travaillent dur, dans des conditions souvent difficiles, pour subvenir aux besoins de leurs familles restées au pays.
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