Par Juvénal BARANKENGUJE, PhD, The Afro News Vancouver : Depuis les temps immémoriaux, le conte dans les sociétés traditionnelles, en général, et en Afrique, en particulier, a toujours servi d’outil pédagogique privilégié aussi bien dans l’éducation des enfants que dans la transmission des valeurs traditionnelles d’une génération à l’autre. Généralement défini comme un récit d’aventures imaginaires à vocation didactique, le conte en Afrique est toujours dit aux jeunes par les anciens (parents, grands-parents et proches de la famille), à la tombée de la nuit. En outre, il met souvent en scène aussi bien des animaux que des humains et se termine toujours par une leçon de morale. A ce propos, il convient de se poser trois questions qui nous paraissent essentielles, à savoir : la spécificité du conte africain par rapport à d’autres genres de la littérature orale africaine, les principaux thèmes d’instruction développés dans le conte et la place de ce dernier dans la culture moderne. Dans cet article, nous nous efforcerons justement de répondre à ces trois questions.
1. La spécificité du conte africain par rapport à d’autres genres
Il est vrai que la tradition orale en Afrique se manifeste à travers plusieurs genres littéraires tels que : le conte, la chantefable, le mythe, l’épopée, le proverbe, la devinette, les différentes poésies (épique, pastorale et lyrique), le chant, la berceuse, etc. Mais il importe de souligner que le conte est le genre le plus connu de la tradition orale en Afrique. A cet égard, la raison en est que, selon Mbathio Sall (1), le conte « est plus propice au rêve et à l’imagination créatrice, et l’esprit est plus libre après les travaux et les soucis diurnes ».
De plus, le conte populaire a été créé par le peuple et pour le peuple : il naît et vit de la collaboration entre le « peuple auditeur » (les enfants et les adultes) et le conteur (exclusivement une personne adulte) respectueux de sa culture. Sur le plan du contenu, il dépend étroitement de la culture et de la géographie physique du peuple qui l’a produit. Une autre spécificité du conte est le moment de son énonciation : il est toujours raconté à la tombée de la nuit. Le choix de ce moment précis pourrait s’expliquer par le fait que les gens sont beaucoup plus disponibles et, en plus, la nuit est propice à l’écoute et à la concentration.
2. Les thèmes d’instruction développés dans le conte africain
Il est très intéressant de constater que les thèmes des contes africains ont tous un rapport étroit avec la morale de l’Afrique traditionnelle. Ils révèlent, en effet, des valeurs auxquelles la société traditionnelle tient beaucoup, à savoir : l’obéissance, la discrétion, le respect des engagements, l’hospitalité, la serviabilité, la justice, la reconnaissance, la bonté, l’amour, la solidarité familiale, le respect des anciens et des aînés, l’intelligence, la bravoure, etc. Ces valeurs constituent le fondement même de la morale africaine, une morale sociale qui indique à chacun comment vivre et se conduire pour son bonheur personnel et celui de la société toute entière.
A titre d’exemple, nous citerons un conte burundais intitulé : « Un jeune roi sauvé par un vieillard ». Brièvement, un jeune souverain souffrait d’une maladie étrange pour laquelle tous les guérisseurs du royaume n’avaient pas de remèdes. Seul un vieillard très modeste réussit, un jour, à guérir l’illustre malade qui était sur le point de mourir. Le conte se termine par une leçon de morale, selon laquelle quiconque doit respecter les personnes âgées, étant donné leurs expériences riches et diversifiées dont la société a grandement besoin.
Comme on le voit dans ce cas précis, le conte vise un objectif essentiel : l’éducation de l’enfant et la formation de l’homme. Sur le plan moral, il dicte des règles de conduite, il est une source de lumière à la fois pour la conduite personnelle dans la vie et l’intégration harmonieuse dans son milieu social.
3. La place du conte africain dans la culture moderne
En ce début du XXIème siècle, il s’avère urgent, nous semble-t-il, de nous interroger sur la place qui revient au conte africain dans la culture moderne. Certes, nul n’ignore que la société moderne se caractérise par un développement scientifique et une avancée considérable des moyens de communication tels que la radio, la télévision, le téléphone et l’internet. Toutes ces inventions ont bouleversé les habitudes d’antan; ce qui ne facilite guère la transmission des valeurs morales et sociales véhiculées par le conte africain.
Toutefois, dans le but de préserver ce patrimoine culturel, nous pensons qu’il est fort possible de le mettre à profit dans le cadre du système d’enseignement. En effet, selon M. Pierre N’Dak (2), « la pédagogie du conte africain est à intégrer dans le système d’enseignement… le conte traditionnel, ce moyen d’éducation efficace de la masse, et de l’éducation en particulier, peut être encore d’un grand intérêt dans le monde moderne s’il est exploité à bon escient ».
En outre, les médias sont des moyens privilégiés pour cette tentative de récupération du conte africain, qui pourrait être plus présent dans les émissions radiophoniques et télévisées. Le principe serait de populariser davantage les thèmes d’instruction qui peuvent être un ferment d’unité nationale et de solidarité entre les peuples de cultures différentes. C’est à ce prix que le conte africain pourra s’intégrer harmonieusement dans la culture moderne.
En conclusion, le conte africain est l’un des modes d’expression de la pensée africaine. Il sert également d’outil pédagogique pour la transmission des valeurs morales et sociales de la société traditionnelle. Il peut également exercer la fonction d’école d’éducation et de formation susceptible d’enrichir la culture moderne à travers ses thèmes d’instruction ayant une portée universelle.
(1) Mlle Mbathio Sall (Sénégal), « Importance de la tradition orale », conférence à Bangkok, Thaïlande, 28 août 1999.
(2) M. Pierre N’Dak, « Le conte africain et l’éducation », Paris, L’Harmattan, 1984.
A propos de l’auteur : Dr. Juvénal Barankenguje est chercheur à la Faculté d’Éducation de l’Université Simon Fraser. Il est également enseignant de français langue seconde depuis plusieurs années. De plus, il a toujours été à la fois actif et bénévole dans des organisations à but non lucratif. Notamment Le Repère Francophone dont il est le Vice-président et Co-fondateur. Il peut-être joint au bajuvenal@lerepere.ca ou www.lerepere.ca.