Pourquoi donc s’intéresser à une “Francophonie des Amériques” en temps de crise?
Oui ça va mal, mais le catastrophisme se porte bien, fort bien! Pas un jour ne passe sans qu’une «nouvelle» vienne angoisser terriblement ceux qui pensaient pourtant avoir la couenne dure. Suffit-il de mentionner l’état de l’environnement, les prospects d’emploi et le déclin général de l’économie pour commencer? Continuons avec la dette personnelle/publique, les coupures, les sans-abris, et l’abandon de maisons, quartiers ou régions à travers le continent. Le “secteur immobilier” lui , les bulles n’en finissent plus d’exploser. Bidonvilles, “gated communities” et communautés éclatées. Les fusils apparaissent partout. L’Amérique ne commence-t-elle pas à ressembler au “tiers-monde” après tout?
Non seulement y’a-t-il amplement à s’inquiéter en matière de réchauffement planétaire et de ces cataclysmes incessants de mère-nature, mais “l’homme-nature” accroît systématiquement sa part: émanations, violence, guerre, commerce des armes, faim, terrorisme, pandémie, disparition des espèces, tensions ethniques, fondamentalisme religieux et ressac de l’immigration. Quoi d’autre pour déprimer à fond?
Ne vous sentez-vous pas continuellement assaillis par une publicité de consommation de plus en plus sournoise et autres sollicitations de toutes sortes? Achetez ceci, buvez cela, croyez ceci, adhérez à cela, engagez-vous ici, envoyez l’argent là (que vous n’avez plus), abonnez-vous ici, joignez notre réseau, mieux encore laissez-nous entrer dans le vôtre, faites-nous confiance, etc. Notre environnement mental ne s’en porte guère mieux. Antidépresseur, alcool, drogue et thérapie ne suffisent plus. Suicide, dénatalité, avortement, divorce, obésité et euthanasie se retrouvent à la hausse. La crise de confiance s’amplifie alors même que la démocratie se portait mal. L’apathie citoyenne continue à étonner autant que l’impertinence des groupes d’intérêt. Et que dire de cette crise des médias en cours? Contre-culture, contre-médias et anarchisme pullulent.
De quoi ne plus écouter les “nouvelles”, ne plus s’intéresser, tout débrancher et se retirer sous un cocon appelé “self-absorption”. Narcissisme corporatif et institutionnel dans les cas les plus sérieux. Le cynisme souille les derniers écosystèmes devant l’impuissance de changer quoi que ce soit. Les “verts”dépriment. La “droite”, la “gauche” et le “centre” sont perdus. Les enseignants ne peuvent plus enseigner, les élèves apprendre et les parents “parenter”. Des prêcheurs continuent d’abuser sexuellement les jeunes. Les lobbyistes ne s’inscrivent plus au registre. Les journalistes ont acquéri une réputation pire que les vendeurs de voitures usagées. Les relationnistes se retrouvent en épuisement professionnel. Seuls les prophètes de malheur semblent heureux dans tout le bordel! Non ça ne va pas bien.
A quoi bon chanter “Le déni de l’évidence” dans de telles conditions? Pourquoi même se préoccuper de langue ou de culture? En particulier une en marge qui ne vous assiège pas continuellement. Son “marché” n’est-il pas en déclin? Y-a-t’il des “jobbes”? Offre-t-elle au moins une valeur d’évasion ou de divertissement le temps d’un moment? “La francophonie des Amériques”, que dites-vous?
Un fait divers. Une cinquantaine de Louisianais se rencontraient récemment en français au centre culturel de Terrebonne dans le bayou en plein milieu de la crise du “Deepwater Horizon”, le jour même où le capuchon final était déposé! Des gens faillis par l’État depuis bien avant Katrina&Rita. Menacés par les changements climatiques, sans investissement en infrastructure, digue, et école, ils ont été les témoins de la destruction continuelle de leur habitat par de puissants intérêts commerciaux. Des gens aussi connus pour leur courage et résilience, les derniers à avoir maintenu le français comme langue véhiculaire! Se pourrait-il que ce qui est vraiment important devient évident en temps de crise, i.e. un espace précieux de réflexion et de communication?
On peut bien sûr se demander si un retour aux sources en temps de crise ne représente que de la fausse nostalgie. Et pourtant, si passer inaperçu, et si naviguer des eaux périlleuses en territoires hostiles et inconnus semble du déjà-vu, c’est que cette “francophonie des Amériques” a été la première à s’y affairer. Que ce soit sous l’œil des premiers explorateurs Français, des premiers habitants, des premiers voyageurs (*), et des premiers à s’y métisser. Les premiers à vivre les déchirements entre deux mondes différents. Les premiers aussi à agir comme interprète, guide ou cartographe. Les premiers à observer sous de Tocqueville, Kérouac ou Césaire. Les premiers à se rebeller contre l’Église-État malgré l’emprise. Les premiers à s’affranchir d’idéologies faciles. Les premiers à s’exprimer dans “l’autre langue”. Les premiers à se regrouper sous de nouvelles formes, une diaspora sans prétention par exemple. Les premiers à reconnaître “Les Invasions Barbares”. Le travail se continue avec des visionnaires de la modernité tel Lepage. Nous voici déjà post multiculturalisme/linguisme, interculturel et polyglotte.
Non commercialisée, la francophonie des Amériques s’emboîte mal et ne se laisse pas appréhender aisément. Les nouveaux espaces à découvrir, à défricher, à semer et à récolter ne sont plus géographiques mais bien mental. Dito pour les barrières et les “récoltes”. De nouveaux “langages” et codes restent à déchiffrer. Réforme des médias vient ici en tête. L’Histoire, les récits, légendes et valeurs subsistent pour être redécouverts, pour guider afin de mieux redécouvrir. Attendez-vous à des non-dits qui parlent fort, si vous êtes toujours capables de porter attention.
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Cela dit, les identités persistent. Serons-nous encore une fois les pionniers? Nous avons survécu à des forces implacables d’aliénation, d’acculturation et d’assimilation : l’argent, le pouvoir et “l’homme-nature”! Mais ce qui ne te tue pas te rend plus fort.
Ambassadeurs de “la francophonie des Amériques”, nouveaux explorateurs et interprètes de la modernité, la commande est de taille: la survie culturelle et linguistique des Amériques, rien de moins. Pour ce faire, ne faudrait-il pas cultiver nos précieux espaces de réflexion et de communication, i.e. la pertinence de la francophonie des Amériques en ces temps incertains!
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* Le code du voyageur/le chemin de la pagaie
Sois attentif à ce qui arrive
Adapte-toi aux changements
Aie confiance en ton équipe
Prends soins des autres
Sois toujours préparé
Suis les instructions
Utilise l’aide disponible
Honore ta parole
Reste concentré
Engage-toi
Explore l’inconnu
Pagaye l’esprit léger
Attends-toi aux difficultés
Assume ton rôle
Persévère