La période pré-coloniale a longuement été évacuée dans la narration “officielle” de l’histoire de la Colombie-Britannique. Oui on mentionne les grands explorateurs anglo-saxons parfois avec la mention honorable d’équipages de “Canadiens-Français”, la traite de la fourrure autour de “forts”, la ruée vers l’or et l’immigration massive en provenance du sud. On saute toutefois rapidement à la période coloniale (1858+) sans reconnaitre les premiers pionniers, ceux qui ont ouvert le chemin ou même savoir ce qui leur est arrivé.
Par exemple, une rétrospective récente de “200 ans d’histoire francophone en Colombie-Britannique” passe de 1817 (“plus de 1200 Canadiens-Français se trouvent dans les vallées de la Colombie-Britannique”) à 1858 comme si rien ne n’était passé outre cette ruée vers l’or: “les francophones se trouvent alors noyés dans la masse des Anglophones, ils deviennent minoritaires et ne parviendront jamais à renverser la vapeur”. Pourtant la création d’un premier club culturel (1886), de l’Alliance Française de Vancouver (1904) et la naissance de Maillardville (1909) y sont relevés. La rétrospective était reprise par notre diffuseur public ICI et la Société Historique Francophone de Colombie-Britannique (SHFCB) dans le cadre de l’initiative francophone britanno-colombienne #francocb. S’agirait-il du dernier relent d’une histoire coloniale intégriste qu’on nous répète depuis maintenant trop longtemps et ne colle toujours pas?
Pourtant cette narration officielle aurait dû évoluer compte-tenu du travail colossal de Bruce Watson explorant pendant plus de 30 ans cette histoire pré-coloniale, et de l’ouvrage saillant de Jean Barman qui se méritait cette année le prix du Gouverneur Général en matière de recherche historique. Pourquoi alors la francophonie institutionnelle qui devrait avoir à cœur la révision de l’histoire coloniale en est-elle incapable à ce jour, particulièrement dans le cadre d’un projet de recherche identitaire à moins de deux ans du 150ième anniversaire de la confédération, une célébration pourtant bien postcoloniale?
Alors voici une rétrospective “citoyenne” postcoloniale de la période pré-coloniale inspirée du travail de Watson et Barman, ou “l’énorme pan manquant” en bon français. Ne parlons désormais plus de “Canadiens-Français” (ou francophones “majoritaires”) mais bien de “Canadiens” i.e. un groupe cohérent de “Canadiens-Français”, de Métis, de Premières Nations venues d’est en ouest (incluant Hawaïens!) et quelques européens : Écossais, Irlandais, Britanniques, Français et autres. Ne parlons plus de frontière canado-américaine puisque ce groupe opérait librement dans tout le nord-ouest:
1793: Les premiers “Canadiens” arrivent sur la Côte Ouest (Mackenzie&Co.)
1805: Les premiers “Canadiens” arrivent et hivernent sur la Côte Ouest au sud du 49ième à Fort Clatsop (Lewis&Clarke&Co.)
1806: Les premiers “Canadiens” s’établissent et hivernent dans le Nord-Ouest de la Colombie-Britannique (Fort Saint-James)
1808: Les premiers “Canadiens” arrivent sur la Côte Ouest dans le sud de la Colombie-Britannique (Fraser&Co.)
1811: Les premiers “Canadiens” s’établissent et hivernent sur la Côte Ouest au sud du 49ième (Fort Astoria)
1821: La Hudson Bay Company et la compagnie du Nord-Ouest, les plus gros employeurs de “Canadiens” dans tout le nord-ouest, fusionnent. Le contrôle de la nouvelle compagnie passe alors à des intérêts britanniques contrôlés par Londres.
1825: Les premiers “Canadiens” s’établissent au nord du Columbia (Fort Vancouver)
1827: Les premiers “Canadiens” s’établissent et hivernent au nord du 49ième: Derby ou le premier Fort Langley; ***premier établissement permanent dans le sud de la Colombie-Britannique***
1843: Les premiers “Canadiens” s’établissent et hivernent sur ce qui deviendra la colonie de l’ile de Vancouver: Fort Victoria
1846: Le Traité de l’Oregon divise les “Canadiens” à travers le 49ième (anciennement le Territoire de l’Oregon); les “Canadiens” au sud et au Nord devront renoncer graduellement à leurs origines; leur mémoire sera graduellement effacée par l’histoire coloniale
1849: La colonie britannique de l’Ile de Vancouver est établie
1858: La colonie britannique continentale est établie (anciennement la Nouvelle-Calédonie); une multitude de “Canadiens” commencent à réintégrer les territoires autochtones (et “réserves) au sud et nord du 49ième; la grande majorité de ces “Canadiens” devront s’assimiler à la majorité anglo-saxonne coloniale
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Dans un compte-rendu de lecture de l’ouvrage de Jean Barman, le Pacific Northwest Quarterly de l`Université de Washington publie dans sa version d’automne la réflexion suivante de Robert Foxcurran (un autre historien ayant étudié à fond la période précoloniale) : « The time has come for historians to treat the historical narrative with nuance in order to encourage people to embrace their full ancestry and history, not just “pick one of the above” ».
Une perspective post-coloniale de notre Histoire devrait susciter plus d’intérêt parmi les britanno-colombiens francophones et autres, qui se reconnaitraient davantage. Rappelons ici que les “Canadiens” de cette période pré-coloniale avaient été de véritables pionniers pour œuvrer dans une des premières entreprises active en mondialisation, durant une période de grands changements démographiques et de nouvelle immigration. Espérons que nos historiens et institutions francophones sauront enfin sortir de leur carcan colonial pour le 150ième anniversaire de la confédération afin de mieux nous inspirer. On verra bien.