Par Dr Juvénal BARANKENGUJE Vancouver – Canada : Dans plusieurs pays occidentaux, les chercheurs débattent actuellement des modèles d’intégration des immigrants, susceptibles d’assurer le respect entre les différentes communautés d’un pays. C’est dans ce cadre que s’est tenu à Montréal, du 25 au 27 mai 2011, le Symposium Québec-Europe sur l’interculturalisme. Présidé par l’historien et sociologue québécois, Gérard Bouchard, cet évènement avait pour objectif de mieux définir l’interculturalisme comme modèle d’intégration et surtout comme une façon de vivre la diversité ethnoculturelle dans les sociétés démocratiques. D’emblée, l’on est en droit de se demander le sens du concept « interculturalisme » en tant que modèle d’intégration des immigrants. Ensuite, quelle serait la spécificité de l’interculturalisme par rapport à d’autres modèles qui existent actuellement? Telles sont les questions importantes auxquelles nous tenterons de répondre au cours de notre réflexion. Puis, nous conclurons cette dernière par une opinion personnelle par rapport au modèle interculturaliste.
1. Le concept d’interculturalisme
De prime abord, il importe de préciser que ce concept a été mis en avant par le professeur Gérard Bouchard et Charles Taylor dans leur rapport sur les accommodements raisonnables, paru en mai 2008.
En effet, dans le rapport Bouchard-Taylor (1), l’interculturalisme en tant que modèle d’intégration est défini comme étant « une façon de promouvoir les rapports ethnoculturels caractérisée par les interactions dans le respect des différences ». En d’autres termes, c’est une façon, disent les deux auteurs, de préserver le « noyau francophone » du Québec tout en évitant la ghettoïsation des immigrants.
En réagissant aux multiples critiques, Gérard Bouchard s’exprime davantage sur ce qu’il entend par interculturalisme : « le Québec doit aller plus loin dans sa réflexion sur l’intégration des immigrants. Pour fonder une identité québécoise, une langue commune et des règles universelles abstraites ne suffisent pas » (2).
En nous basant sur ces deux citations, nous pouvons affirmer que l’interculturalisme est un modèle d’intégration qui prône le respect mutuel entre les valeurs culturelles du pays d’accueil et celles des immigrants. C’est donc un modèle qui a pour but de favoriser l’intégration harmonieuse des immigrants et la tolérance réciproque entre les « natifs » et les immigrants.
Par ailleurs, en citant expressément le cas du Québec, Gérard Bouchard pointe du doigt les insuffisances constatées, selon lui, dans le multiculturalisme, modèle actuel d’intégration des immigrants au Québec et dans les autres provinces du Canada. Pour lui, fonder une identité québécoise signifie prendre en compte à la fois les valeurs culturelles du Québec et celles des immigrants.
2. La spécificité de l’interculturalisme
Il est évident qu’en développant son modèle d’intégration, Gérard Bouchard s’est basé sur les principaux modèles mis en place dans plusieurs pays occidentaux. Il s’agit essentiellement des modèles assimilationniste, multiculturaliste et républicain.
Le modèle assimilationniste prône l’homogénéité de la culture nationale, comme le fait le Japon. En revanche, Gérard Bouchard définit le multiculturalisme et l’approche républicaine en ces termes : « Le multiculturalisme accorde la priorité à la diversité, tandis que les régimes républicains, en refoulant les différences ethnoculturelles et en les laissant en marge, donnent préséance à ce qu’on pourrait appeler la culture fondatrice (en gros, celle de la société d’accueil ou du groupe ethnoculturel majoritaire). »(1) Soulignons, du reste, que le multiculturalisme a été adopté par le Canada et l’Australie, tandis que le modèle républicain est en vigueur en France.
Si l’on se réfère à cette définition, il est clair que Gérard Bouchard rejette catégoriquement le modèle républicain. Puis, dans son texte(3) publié en marge du symposium, il fait la distinction nette entre l’interculturalisme et le multiculturalisme bien que les deux accordent la priorité à la diversité : « l’interculturalisme est différent du multiculturalisme tel que pratiqué au Canada et en Europe. La principale différence est que le multiculturalisme canadien ne tient pas compte de l’existence d’une culture majoritaire au Canada alors que l’interculturalisme québécois cherche à protéger le fait français au Québec. » En d’autres termes, l’interculturalisme se veut une action basée sur l’ouverture aux autres, sans toutefois nier l’importance de l’héritage du Québec.
3. Une opinion personnelle
Il nous semble que l’interculturalisme, tel qu’il est proposé par le professeur Gérard Bouchard, ne peut laisser personne indifférent pour deux raisons majeures. D’une part, il a pour but de favoriser l’intégration harmonieuse des immigrants au Québec en privilégiant les interactions et les échanges interculturels. D’autre part, il vise en même temps à protéger la culture majoritaire, en l’occurrence celle des Québécois. Mais ma question fondamentale est celle de savoir comment on pourra mettre en pratique ce projet de société si louable soit-il. Ce qui est sûr, il sera très difficile de concilier sans heurts la culture majoritaire, d’un côté, et les cultures minoritaires, de l’autre.
Ensuite, quand on parle de l’intégration des immigrants, on pense en premier lieu à la capacité de s’insérer sur le marché du travail. Jusqu’à présent, le modèle multiculturaliste en vigueur au Canada n’a pas réussi totalement à intégrer les immigrants sur le plan économique. En effet, selon une étude du Centre interuniversitaire de recherche(4), le taux de chômage est plus du double chez les immigrants du Québec que chez les natifs alors qu’il n’est que de 1,8% de plus en Ontario et de 0,7% de plus en Colombie-Britannique. L’adoption du modèle interculturaliste par le Québec permettra-t-elle de faire disparaître cette grande disparité au niveau de l’emploi? Si oui, de quels moyens spéciaux disposera-t-on pour y parvenir ? Nous osons espérer, enfin, que Gérard Bouchard fera connaître davantage sa conception de l’intégration économique des immigrants telle qu’il l’envisage au Québec.
Notes :
1. « Le Rapport Bouchard-Taylor », Bibliothèque et Archives nationales, mai 2008.
2. Lettre publiée dans Idées (A7).
3. « Qu’est-ce que l’interculturalisme? », Université McGill, Revue de droit de McGill, Volume 56, numéro 2, février 2011, p. 395-468.
4. « Immigration au Québec: politiques et intégration au marché du travail », Brahim Boudarbat et Maude Boulet, CIRANO, avril 2010.
A propos de l’auteur : Dr. Juvénal Barankenguje est chercheur à la Faculté d’Éducation de l’Université Simon Fraser. Il est également enseignant de français langue seconde depuis plusieurs années. De plus, il a toujours été à la fois actif et bénévole dans des organisations à but non lucratif. Notamment Le Repère Francophone dont il est le Vice-président et co-fondateur.
Il peut-être joint au bajuvenal@lerepere.ca ou www.lerepere.ca