Un mémoire qui ne risque pas d’être « entendu »
1. Compte-tenu de l’état moribond des lieux, cette consultation aurait dû mobiliser toutes les forces de la société civile canadienne pour relancer une réflexion sur les Langues Officielles après tant d’années de déclin. En campagne électorale, Justin Trudeau parlait bet et bien de “véritables changements” et de réengagement du gouvernement avec la population. Mélanie Joly, Ministre du Patrimoine Canadien, se présentait comme une personne branchée à l’affût du virage numérique. Stéphane Dion, le pionnier du plan d’actions, s’était pourtant bien exprimé sur les détournements inacceptables du financement attribué aux Langues Officielles. Tant d’attentes. En outre, plus de 1 milliard de $, jamais audités indépendamment, lui sont pourtant officiellement alloués.
2. Or aucun média, aucun commentateur politique, aucune personnalité canadienne, aucun parti politique, aucun officier du parlement (Sénateur, Ombudsman, Commissaire, etc) ou Chef de Parti, que ça soit du côté francophone, anglophone ou allophone, vétéran ou étoile montante n’a fait l’effort de commenter. Aucun média anglophone, grand ou petit, public ou privé, pas même CBC. Comme si les Langues Officielles, c’était seulement une affaire de francophones. Rien de Postmedia, pas même au Ottawa Citizen ou sur The Gazette où la minorité linguistique anglophone montréalaise pourrait être d’intérêt.
Rien du Globe, du Toronto Star, du Walrus, de Rabble, du Tyee ou de Ricochet. Aucun commentaire de Chantal Hébert, d’Andrew Coyne, de John Ralston Saul et de Charles Taylor parmi tant d’autres qui auraient pu commenter. Googlez “official languages consultation” pour confirmer par vous-même l’état pathétique de la consultation. Du côté francophone, quasiment rien à Radio-Canada ou à la Presse Canadienne, rien au Devoir, à la Presse ou au Droit (ex-GESCA), à Québecor ou dans les médias plus souverainistes tel Vigile ou l’Aut Journal. Aucun commentaire de Marrisal, de Lagacé, de Martineau, de Bock-Côté, de Longpré, de Facal, de Dubuc, de VLB ou de Gérard Bouchard parmi autres. Pas loin du quasiment rien dans l’Association de la Presse Francophone (hors-Québec), à TFO ou à UNIS en pause estivale. L’initiative citoyenne #Réveilleton peine à mener la veille médiatique requise, devant des forces implacables et le bruit médiatique estival ambiant.
3. Tant et aussi longtemps que ceux qui devraient porter attention ne le font pas, l’immense majorité des Canadiens et de leurs médias ne s’intéressa pas aux Langues Officielles et à leur renouvellement. Alors peu importe que l’on indexe les allocations, qu’on les réduise, qu’on les augmente, qu’on dépense plus ou moins en immigration, petite enfance, médias, éducation (immersion ou programmes francophones), économie, tourisme, santé, justice ou gouvernance, tant et aussi longtemps que les Canadiens ne seront pas plus intéressés, le milliard demeurera en grande partie gaspillé par des bureaucracies opaques qui ont tout intérêt à se cacher du radar. La consultation estivale ayant court présentement représente donc un terrible gaspillage et une occasion manquée de renouvellement, tel les consultations antérieures de 2012 et de 2007, similairement évitées par les médias.
4. La culture de huis-clos sévissant autour de ces consultations est toxique et désengage même les plus motivés. Seul des groupes lobby déjà subjugués dans leur financement peuvent participer à des tables rondes dites “publiques” annoncées en catimini à la dernière minute sans même un agenda des participants. Similairement contraints dans leur financement, les médias sont incapables d’une couverture juste d’affaires publiques et sont relégués à un rôle de simple courroie de transmission d’aucun intérêt au grand public sollicité ailleurs. Certes pas des conditions propices au renouvellement. Tenir ces consultations en été (ou durant la période des Fêtes) parce que c’était la seule période de disponibilité du/de la Ministre démontre un profond mépris pour celle des Canadiens (et de leurs médias), incapable de porter intérêt dans ces périodes de relâche. Ce choix illustre bien ce dont ces bureaucraties sont capables pour se maintenir, lorsque les médias ne sont plus capables de faire leur travail, que les gens ont de plus en plus de difficulté à s’intéresser aux affaires publiques et que les groupes d’intérêt sont complètement absorbés par le financement accordé par ces bureaucrates et carriéristes politiques incapables de dénoncer quoi que ce soit sans en subir de graves conséquences. Donc aucun mémoire n’est déposé ou partagé publiquement. Aucun chiffre de participation n’est disponible. Aucun journaliste ne twitte durant ces rencontres. Et le principal organisme porte-parole ose invoquer le #NousComptons dans sa campagne de promotion de la consultation! Le mot-clique #LANG2016 est principalement un soliloque dans la twittosphère, tout comme cet “anti-mémoire”. Situation similaire sur le média social Facebook, et en 2012 sous le mot-clique #LOcons.
5. Le Ministère du Patrimoine Canadien doit porter une grande part de responsabilité pour le terrible état d’apathie des Canadiens et de leurs médias en matière de Langues Officielles. Ce Ministère est responsable après tout pour une grande part du milliard de $ attribués et de la promotion des Langues Officielles. Le personnel relationniste y pullule, certes à en juger par les termes promotionnels de la consultation, les catégories et questions posées dans le sondage en ligne ou encore le “Joignez-vous à la discussion en ligne” qui ne va nulle part et saborde sa propre campagne. Des individus sans scrupule ont bel et bien choisi la période estivale pour tenir ces consultations, plus propice aux festivités et photo-ops de remise de subventions, malgré les « leçons apprises » de la dernière tenue en été. Cette période n’est pourtant aucunement propice à la réflexion publique ou à la mobilisation, ce que les bureaucrates et personnel relationniste ne souhaitent pas de toute évidence. Rappelons ici que le parcours de la Ministre en charge en est un principalement de relationniste, sans aucun gravitas pour la réflexion ou le grand ménage organisationnel requis. Notons que la lettre de mandat du Premier Ministre ne lui demandait aucunement de mener une refonte des Langues Officielles, le programme à peine mentionné en période électorale, certes pas le grand ménage à Patrimoine. Notons enfin que la Ministre a été incapable d’associer son dada personnel du « virage numérique » aux Langues Officielles, et à leur renouvellement. Le bateau vogue complètement à la dérive en l’absence de leadership à tous les niveaux.
6. Le sujet délicat des Langues Officielles pèse depuis longtemps parmi tous les partis politiques canadiens et même québécois. Il n’apporte plus de votes tel jadis, lorsque le Québec menaçait de séparation. Tous les représentants de Parti Politique et leurs porte-paroles sont contraints à répéter des banalités dans lesquelles plus personne ne croit plus depuis longtemps, de peur que le moindre brassage leur coûte des votes. Tant et aussi longtemps que l’absence de leadership politique perdurera, les médias et les Canadiens ne porteront pas attention et laisseront le champ libre au magouillage et au déclin systémique de l’institution des langues officielles. Le traitement au respirateur artificiel de la minorité francophone canadienne est ainsi entré en soins palliatifs. Les fonds alloués ont déjà été redirigés vers l’anglicisation accélérée. Par example, des organismes francophones se battent entre eux pour obtenir leur financement afin d’intégrer les derniers arrivants francophones en anglais. Un huis-clos a dû être invoqué pour éviter l’embarras. Le français est aussi dévalué en réallouant le financement aux langues autochtones, ou en éliminant par sous-traitance aux plus bas soumissionnaires, en matière de formation linguistique et de traduction. Le programme des Langues Officielles est également utilisé pour récompenser les amis du Parti comme on fait au Sénat ou dans les ambassades, en l’absence de contrôles financiers et vigilance. Ce qui est arrivé à la politique canadienne du biculturalisme est en train d’arriver à celle du bilinguisme, personne ne veillant au grain.
7. Il ne faut pas s’étonner si les éléments les plus dynamiques d’une société (e.g. classe jeunesse, entrepreneuriale, immigrante et créatrice) restent le plus loin possible des Langues Officielles dans de telles conditions de déclin. Et qu’on est pris avec les éléments les plus ringards. Alors malgré des investissements énormes en éducation, e.g. immersion, le français peine à respirer passé le Primaire. Les espaces véritablement publiques “bilingues” sont inexistants, cette consultation elle-même étant une des pires manifestations. Peu importe les investissements jeunesse énormes de ces dernières années, les résultats probants se limitent aux « relations publiques » de meneurs et meneuses de claques sans absolument aucun soutien du public.
Dans un tel contexte, la consultation actuelle sur les Langues Officielles rappelle le village bidon Potemkin russe maintenu artificiellement pour faire à croire. Le grand problème: plus personne ne les voit ou ne les entend. Certes pas en été. And who cares?
Réjean Beaulieu, Vancouver
778-919-1386 (pour vérifications seulement)