Une bonne cause n’attend pas une autre!
Par un magnifique après-midi de printemps, je me retrouvais il y a quelques années en compagnie d’amis dans un parc du grand Vancouver. Occasion rarissime de rencontre pour quatre accouplés exogames, un endroit “spécial” avait été choisi pour piqueniquer en français! Bien à l’écart de tout développement urbain, les arbres rayonnaient de leurs fleurs, les oiseaux gazouillaient et les montagnes du parc Golden Ears surplombaient le Fraser à nos pieds. L’endroit resté plutôt sauvage semblait bien évoquer le paysage dans lequel ce groupe de premières nations, de métis, de canadiens, d’écossais, d’irlandais et de Kanakas (indigènes d’Hawaï) avait collaboré un premier établissement dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique. Premier poste de traite (fourrure et saumons) ainsi que première terre agricole d’approvisionnement au premier “Fort Langley” (1827), bienvenue incidemment à Derby Reach, un parc du réseau Metro Vancouver!
La plaque historique d’un monument obscurci par des mousses en bordure du sentier “Fort to Fort trail” annonçait:
FORT LANGLEY
The original Fort Langley was built here in 1827
James McMillan in charge
The site of the first permanent settlement
and cultivation of the soil in the lower Fraser valley
later known as Derby
Home of the royal engineers 1858-1859
Le tout datait d’une autre époque, celle des “sujets de sa majesté”. Bien sûr pas un mot en français pour honorer la langue commune de ces pionniers et pas plus en langue autochtone (Kwantlen/Stó:lō) pour ceux qui les avaient accueillis! Le picnic s’est néanmoins bien continué malgré le désappointement d’un court moment.
Rien ne s’en est suivi jusqu’à ce qu’un ami francophile fervent d’Histoire me demande s’il y avait en Colombie-Britannique un monument qui célébrait ce que ces premiers nouveaux arrivants avaient accompli. Le développement pacifique de notre région avait en effet été rendu possible par ces pionniers en apprenant mœurs et coutumes, en découvrant de nouveaux langages, en cartographiant les lieux, en s’accouplant avec les femmes autochtones et en prenant ainsi racine. Jim avait eu connaissance de commémorations d’établissements similaires dans les états voisins du Washington et de l’Orégon. Il n’y avait rien toutefois à ma connaissance dans la vallée du Fraser outre ce monument ni plus ni moins abandonné. Fallait-il simplement oublier ce lieu de mémoire? Et pourquoi donc honorer ces gens?
Dans une société de vite consommé et de vite oublié, ce n’est drôlement pas évident comment un nouveau canadien (et même un moins nouveau) peut-il s’intéresser à l’Histoire, incluant ceux qui l’ont précédé. Ceci n’aidera certes pas à se procurer un travail, à accéder à un logis décent à un prix abordable, à se trouver un/e partenaire, à élever les enfants, à s’occuper des parents vieillissant ou encore à payer les factures. Quelle est donc la pertinence de cette Histoire pour mieux vivre *aujourd’hui* et se préparer pour demain?
Peut-être la réponse se cache-t-elle après tout sous cette surface noircie par le temps pour ceux qui font l’effort de la découvrir et de la mettre à jour? Ces pionniers venus de tout horizon l’ont certes démontré, après avoir connu eux aussi adversité et temps turbulents. Découvrir ceux qui nous ont précédés est un peu comme se découvrir soi-même le temps d’une vie. Certes pas facile dans un monde superbranché de va trop vite lorsque les priorités se bousculent constamment.
Les “monuments abandonnés” ne manquent certes pas et une bonne cause n’attend pas une autre. Quel sera donc celui qui vous inspirera à venir à son secours? Et qui seront ceux qui vous ont précédés capables de mieux vous inspirer en ces temps turbulents, comme y’ disaient?
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Une proposition de mise-à-jour du monument de Derby Reach était accueillie favorablement par un comité patrimonial du canton de Langley Township en début avril. Inauguration suggérée : le 6 août 2012, journée de la Colombie-Britannique. Qu’il fait bon rêver tel ces pionniers!